Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste, présente en ligne le Cycle de l'Austrel, tome troisième : Comme une abeille hors de sa ruche… Tous droits réservés ©
C’ÉTAIT HIER
Sur la roche incertaine, un jeune homme est assis.
Pour regarder la mer il songe à son pays
Quitté ce noir matin, comme on ferme une porte
À tout vain avenir où l’espérance est morte.
La tour du grand château n’entendra plus courir,
L’un des ponts sur l’étang doit finir de pourrir...
Et les jours et le vent soulignent de pluie
Les derniers souvenirs de cette enfance amie.
Voyez, la petite île où il allait heureux
S’éloigne dans la brume et grave au fond des yeux
L’étrange ombre d'un hymne au reflet gris ou mauve
Offert en requiem à la mémoire sauve.
Un chant, souffle d’automne, emporte aussi la flamme :
Elle attise un parfum oublié d’une femme ;
Et captive en son être esseulé chaque soir,
Au souffle de l’esprit, la muse est son espoir...
Sako : - Qui est-elle ?
Emma : - Cela ne te regarde pas…
Sako : - Je le comprends de moins en moins !
Tu sais, Emma...
Emma : - Non.
Pas ce petit jeu avec moi, Sako.
Ce n’est pas exact...
Tu refuses ses idées, c’est tout.
Sako : - C’est mon droit !
Et tu devrais peut-être réfléchir davantage à la situation.
Je ne suis pas en accord avec ses idées révolutionnaires.
Jeph est vraiment dangereux.
Emma : - Oui, bien entendu.
Ta mémoire sélective me surprendra toujours.
Tu peux refuser une proposition dans une dispute honnête.
Cela serait préférable au mépris et à la trahison… si c’était la sagesse qui t’animait.
Pourtant, tu es bon avocat pour ta propre cause…
Et si tu dévoilais avec lui tes talents d’orateur ?
En fait, la peur et l'envie semblent être les seuls maîtres de tes propos et de tes actes.
Sako : - Mais il se moque de la mort… de la vie.
Emma : - Et de toi…
Sako : - C’est vrai…
Aussi, ce fou n’est même pas attaché à son œuvre.
Si nous le laissions agir, il finirait par nous mettre réellement en danger.
Emma : - Où veux-tu en arriver ?
Sako : - Je ne sais pas vraiment.
Demain soir, le Nouvel Austrel est en conseil restreint.
Emma : - Et bien entendu, Yeph n’y est pas convié !
Sako : - Oh, tu sais très bien qu’il ne vient quasiment plus…
Emma : - Vous allez statuer sur son sort ?
[Chanté par le chœur, en fond musical, tout au long du dialogue :
LE GRAND INQUISITEUR
I
Monsieur, c'est une faute...
Votre acte est un péché !
Auriez-vous l'obligeance
Alors que tout s'accorde
À vous juger coupable,
De nous demander grâce,
D'espérer le pardon ?
- Oh vous pouvez sourire,
Vous gausser de nos dires :
L'enfer est assuré
Si vous n'implorez pas !
- Suppliez-nous, de grâce,
Humiliez-vous jeune homme,
Pleurez, je vous en prie !
II
- Sachez voir en vous-même
Un monstre de péchés.
Nous devons vous punir :
Vous ferez pénitence.
- Alors, osez nous dire
En bien courbant l'échine
Une reconnaissance
De votre damnation !
- Dieu saura vous sauver
Malgré la lourde faute
Qui déjà vous accable.
- Comment pouvez-vous rire
Et rester insoumis
À la loi de vos pères
À nos saints jugements ?
- Tremblez pauvre pécheur,
Vous n'êtes pas conscient
Du poids de vos actions...
III
- Il suffit de dire "oui,
Je porte en moi le mal"
Et nous saurons vers Dieu
Élever nos louanges :
- Un bel enfant perdu
Revient vers toi Seigneur !
- Soit, songeons que je puisse
En ces mots reconnaître
Un mauvais garnement
Que vous croyez sans peine
Damné pour les ténèbres ? [i]
Admettons un instant
L'ombre du repentir
Écrasant ma fierté
Pour me guider vers vous
Et quérir le pardon...
Comment suis-je assuré
De la miséricorde
Offerte par ce dieu
Dont vous prêchez la grâce ?
IV
Qu'adviendrait-il aussi
Si je ne vous donnais
Ni regret ni remords
En n'ayant point souci
De l'offre de salut
Ou du feu éternel ?
- O misérable enfant,
Sans aveux de ta part
Tu sauras supporter
La question et les fers
Et la mort par le feu,
Prélude nécessaire
Avant d'être envoyé
Par les anges du diable
Au fond de la Géhenne...
- Cependant si tu daignes
Effacer de ton âme
Tout ce dont on t'accable,
Nous t'assurons sans faute
Une place de choix
Auprès du Dieu puissant.
V
- Bien sûr, il te faudra
Pour payer ta folie --
Pour racheter le mal
Dont tu t'es repenti --
Monter dès aujourd'hui
Sur le bûcher en flamme !
Sako : - Non…
Nous allons plutôt nous interroger quant aux mesures à prendre pour sauver les Bases des assauts de l’Archyeur !
Nous pourrions tous périr si… Jeph… continuait à inciter ses adeptes à la désertion...
Emma : - Je vois.
Tu n'as donc aucune mémoire du cœur…
Sako : - Je ne te comprends pas…
Emma : - Ce n'est rien…
Pour comprendre, souvent la raison ne suffit pas.
Pour toi, ce qui prime, c’est notre système actuel.
La politique est plus importante que l'humain.
Vous êtes prêts à sacrifier le vivant pour protéger quelques pierres ou une idéologie du passé[i]…
Tu es si attaché à cette récente société — créée en marge de celle de l’Archyeur — que tu en as déjà oublié son origine.
Cette obsession de pouvoir est au-delà de tout ce que j’ai pu apprendre de l’histoire des hommes.
Sako : - Hier est un mensonge, tu me l'as dit toi-même.
L'important c'est maintenant.
Je veux réussir, là où d'autres ont échoué.
Les Bases sont un succès.
Je fais tout pour qu'elles s'étendent.
Emma : - Au risque de voir se poursuivre les guerres et les massacres ?
Tu crois vraiment au bien fondé de tes actes ?
Sako : - Bien sûr, puisque j’ai été reconnu compétent pour siéger au Conseil du Nouvel Austrel.
Emma : - Pour quoi as-tu été élu ?
Sako : - Afin de rendre le peuple heureux.
Emma : - Ah, c'est vrai…
J'avais oublié !
Vanité des vanités[ii] !
L’Archyeur et le Grand Conseil de la Cité ont aussi ce projet merveilleux...
Sako : - Oui.
Cependant ils s’y prennent mal.
Viens demain au Conseil, pour nous écouter.
Tu oublies trop souvent que tu es membre consultatif à vie... C’est dommage de te voir si rarement à notre Nouvel Austrel.
Ta sagesse nous serait parfois utile, ma chère Emma.
Emma : - Désolée.
Entendre un jugement sans appel et encore une condamnation… c'est trop pour moi !
J’ai certaines difficultés à adhérer aux idées développées depuis quelques temps.
Sako : - Vous me faites peur, toi et les autres proches de Jeph.
Il faut que cela cesse.
C’est comme un contre-pouvoir passif, autour d’un gourou totalement fou...
Emma : - N’étais-tu pas aussi — avant d’être élevé à de plus hautes fonctions — dans la “cour du Maître” ?
Sako : - Oui et non.
Non, en fait…
Je ne me suis jamais laissé vraiment manipulé par lui.
Et puis…
J’ai enfin pris ma liberté !
Emma : - C’est lui qui l’a gagnée…
Il te l’a offerte par sa lutte contre l’Austrel.
Il t’a retiré des mains de l’Archyeur.
Sako : - Je l’ai aussi aidé à se retrouver...
Emma : - C’est vrai, il y a fort longtemps, et je sais qu’il ne l’a pas oublié !
Dans une amitié chacun gagne à la rencontre.
Sa reconnaissance envers toi a toujours été sincère...
…Et puis on s’éloigne, chacun suit sa route et la raison parfois éteint le cœur… la mémoire, les souvenirs…
Tu fus le plus farouche défenseur des idées du Grand Conseil avant que Yeph ne t’ouvre les yeux…
Une fois libre, tu as combattu avec fougue ce pauvre Érik, pour retourner encore ta veste et lui livrer Yeph…
Tu as cru bon en effet de le dénoncer et de le vendre pour sauver ta peau…
Découvrant les Bases fondées par Yeph, tu as trouvé vacantes quelques hautes fonctions dont personne ne voulait…
Et sans scrupule, tu as quitté Érik pour ce Nouvel Austrel !
Quelle est ta volonté du moment ?
Yeph ne t’a jamais invité à le suivre, mais à te construire par toi-même.
Tu es un expert de la lâcheté calculée…
Quel bon politicien tu fais !
Mon cher Sako, tu as vraiment l'art et la manière de trahir ceux qui t'ont aimé !
Sako : - Aimer… c'est un mot trop compliqué !
Je n'ai guère le souvenir de Jeph au-delà de quelques bons moments partagés et ses larmes d'un soir…
Nous nous sommes peu connus, en fait.
Je n'ai pas de compte à lui rendre.
Ma carrière, je ne la dois qu'à moi-même.
Contrairement à d'autres, j'ai ma fierté, j'ai mon honneur.
Ce que je réalise maintenant, ce sont les tentatives de manipulations continuelles de Jeph à mon égard.
Et il vous utilise contre moi.
Avec ses idées monomaniaques et quasi sectaires sur la non-violence[iii] — à prôner son amour humain — il a toujours été une entrave à mon ascension.
Je ne supporte pas non plus son côté trivial…
Oui… son obsession pour le sexe.
Il n’a pas de honte, de tabou, d’interdit.
Il est dangereux pour nous tous, et je devais le protéger d’Érik.
Oui, pendant tout ce temps — à cause de sa présence — j'ai dû jouer de compromis et de concessions avec l'Austrel pour le ménager.
De sa part, je n'ai rien gagné !
Ses idées — toutes imbibées de gentillesses mièvres — ne sont pas compatibles avec les lois et la morale des Bases.
Il serait finalement toxique à long terme…
Il est même certainement dangereux depuis l’origine.
Et je n’ai plus besoin de lui.
Emma : - Il y a une différence flagrante entre “n’avoir plus besoin de” et “être gêné par”.
Yeph te dérange aussi par son rayonnement, sa joie, son insouciance...
Tu le jalouses…
Il est vraiment un obstacle pour la suite de ton ascension vers la gloire…
Et pourtant…
Ah oui…
Il t’a beaucoup aimé !
Sako : - Tais-toi !
Tu en fais un dieu, alors qu’il se comporte en vagabond instable.
Je déteste Jeph.
Emma : - Après l'avoir adoré…
Cela s’explique.
Peut-être l'aimeras-tu un jour ?
Sako : - Non !
Je me suis toujours opposé à ses propos anarchistes de sombre joueur de flûte.
L’homme doit s’adapter à la société qui l'accueille.
Nous naissons au sein d'une histoire généalogique… la rejeter est inacceptable et dangereux[iv].
C'est la vie ensemble qui nous rend bons.
Seul, nous ne serions encore que dans une animalité désespérante[v]…
Chaque sujet des Bases est un électeur libre et responsable, dans un système entièrement démocratique.
Comme citoyen, il participe ainsi à la construction de la nation, la transforme.
Tout en y vivant heureux parmi ses semblables… il prépare son paradis futur.
Emma : - Je crois davantage que l’homme naît potentiellement libre avec la capacité au bien et au mal, où qu'il soit.
Il se voit hélas très vite enchaîné au temps et à la matière, par la société corrompue qu’il bâtit parfois de ses propres mains.
L'homme perd sa liberté en délégant sa capacité à penser par lui-même.
Donner à des êtres — que nous jugeons donc supérieurs — le droit de légiférer à notre place, c'est se transformer en moutons soumis aux caprices d'un berger qui nous mène où bon lui semble[vi]…
Sako : - Non.
Le peuple a besoin d'une structure.
Chacun y trouve sa place.
L'homme est un animal politique[vii]. La nature est ainsi faite.
Certains dirigent pour que d'autres s'épanouissent dans leur travail.
Il faut un cadre.
Sans les lois, sans les interdits, nous ne pourrions pas vivre en société.
Nous avons besoin de morales, qui se justifient par nos traditions.
Emma : - Peut-être pas.
J'aspire à d'autres routes.
Il y a aussi la recherche de valeurs libérées — l'axiologie[viii] — où les règles du jeu de la vie dépassent les peurs de bien faire ou de mal faire.
Sako : - Tu déraisonnes.
Nous sommes des êtres dualistes.
Notre raison se construit dans la recherche d'une paix et d'un bonheur relatifs par la découverte du bien absolu.
Nous devons évoluer sur cette terre vers la perfection, dans l'amour de Notre Sauveur.
Alors, l'espoir d'une vie meilleure — d’un paradis — s'offre à nous !
Emma : - Oh…
Oui…
J'ai une idée…
Acceptes-tu de m’accorder quelques instants ?
Sako ?
Sako : - Pardon ?
Emma : - Allume ton transfaxe et suis-moi sur la “21”.
Sako : - Pourquoi ?
Emma : - Allez, vite !
Sako : - Bon… la “21” ?
Nous allons plutôt nous interroger quant aux mesures à prendre pour sauver les Bases des assauts de l’Archyeur !
Nous pourrions tous périr si… Jeph… continuait à inciter ses adeptes à la désertion...
Emma : - Je vois.
Tu n'as donc aucune mémoire du cœur…
Sako : - Je ne te comprends pas…
Emma : - Ce n'est rien…
Pour comprendre, souvent la raison ne suffit pas.
Pour toi, ce qui prime, c’est notre système actuel.
La politique est plus importante que l'humain.
Vous êtes prêts à sacrifier le vivant pour protéger quelques pierres ou une idéologie du passé[i]…
Tu es si attaché à cette récente société — créée en marge de celle de l’Archyeur — que tu en as déjà oublié son origine.
Cette obsession de pouvoir est au-delà de tout ce que j’ai pu apprendre de l’histoire des hommes.
Sako : - Hier est un mensonge, tu me l'as dit toi-même.
L'important c'est maintenant.
Je veux réussir, là où d'autres ont échoué.
Les Bases sont un succès.
Je fais tout pour qu'elles s'étendent.
Emma : - Au risque de voir se poursuivre les guerres et les massacres ?
Tu crois vraiment au bien fondé de tes actes ?
Sako : - Bien sûr, puisque j’ai été reconnu compétent pour siéger au Conseil du Nouvel Austrel.
Emma : - Pour quoi as-tu été élu ?
Sako : - Afin de rendre le peuple heureux.
Emma : - Ah, c'est vrai…
J'avais oublié !
Vanité des vanités[ii] !
L’Archyeur et le Grand Conseil de la Cité ont aussi ce projet merveilleux...
Sako : - Oui.
Cependant ils s’y prennent mal.
Viens demain au Conseil, pour nous écouter.
Tu oublies trop souvent que tu es membre consultatif à vie... C’est dommage de te voir si rarement à notre Nouvel Austrel.
Ta sagesse nous serait parfois utile, ma chère Emma.
Emma : - Désolée.
Entendre un jugement sans appel et encore une condamnation… c'est trop pour moi !
J’ai certaines difficultés à adhérer aux idées développées depuis quelques temps.
Sako : - Vous me faites peur, toi et les autres proches de Jeph.
Il faut que cela cesse.
C’est comme un contre-pouvoir passif, autour d’un gourou totalement fou...
Emma : - N’étais-tu pas aussi — avant d’être élevé à de plus hautes fonctions — dans la “cour du Maître” ?
Sako : - Oui et non.
Non, en fait…
Je ne me suis jamais laissé vraiment manipulé par lui.
Et puis…
J’ai enfin pris ma liberté !
Emma : - C’est lui qui l’a gagnée…
Il te l’a offerte par sa lutte contre l’Austrel.
Il t’a retiré des mains de l’Archyeur.
Sako : - Je l’ai aussi aidé à se retrouver...
Emma : - C’est vrai, il y a fort longtemps, et je sais qu’il ne l’a pas oublié !
Dans une amitié chacun gagne à la rencontre.
Sa reconnaissance envers toi a toujours été sincère...
…Et puis on s’éloigne, chacun suit sa route et la raison parfois éteint le cœur… la mémoire, les souvenirs…
Tu fus le plus farouche défenseur des idées du Grand Conseil avant que Yeph ne t’ouvre les yeux…
Une fois libre, tu as combattu avec fougue ce pauvre Érik, pour retourner encore ta veste et lui livrer Yeph…
Tu as cru bon en effet de le dénoncer et de le vendre pour sauver ta peau…
Découvrant les Bases fondées par Yeph, tu as trouvé vacantes quelques hautes fonctions dont personne ne voulait…
Et sans scrupule, tu as quitté Érik pour ce Nouvel Austrel !
Quelle est ta volonté du moment ?
Yeph ne t’a jamais invité à le suivre, mais à te construire par toi-même.
Tu es un expert de la lâcheté calculée…
Quel bon politicien tu fais !
Mon cher Sako, tu as vraiment l'art et la manière de trahir ceux qui t'ont aimé !
Sako : - Aimer… c'est un mot trop compliqué !
Je n'ai guère le souvenir de Jeph au-delà de quelques bons moments partagés et ses larmes d'un soir…
Nous nous sommes peu connus, en fait.
Je n'ai pas de compte à lui rendre.
Ma carrière, je ne la dois qu'à moi-même.
Contrairement à d'autres, j'ai ma fierté, j'ai mon honneur.
Ce que je réalise maintenant, ce sont les tentatives de manipulations continuelles de Jeph à mon égard.
Et il vous utilise contre moi.
Avec ses idées monomaniaques et quasi sectaires sur la non-violence[iii] — à prôner son amour humain — il a toujours été une entrave à mon ascension.
Je ne supporte pas non plus son côté trivial…
Oui… son obsession pour le sexe.
Il n’a pas de honte, de tabou, d’interdit.
Il est dangereux pour nous tous, et je devais le protéger d’Érik.
Oui, pendant tout ce temps — à cause de sa présence — j'ai dû jouer de compromis et de concessions avec l'Austrel pour le ménager.
De sa part, je n'ai rien gagné !
Ses idées — toutes imbibées de gentillesses mièvres — ne sont pas compatibles avec les lois et la morale des Bases.
Il serait finalement toxique à long terme…
Il est même certainement dangereux depuis l’origine.
Et je n’ai plus besoin de lui.
Emma : - Il y a une différence flagrante entre “n’avoir plus besoin de” et “être gêné par”.
Yeph te dérange aussi par son rayonnement, sa joie, son insouciance...
Tu le jalouses…
Il est vraiment un obstacle pour la suite de ton ascension vers la gloire…
Et pourtant…
Ah oui…
Il t’a beaucoup aimé !
Sako : - Tais-toi !
Tu en fais un dieu, alors qu’il se comporte en vagabond instable.
Je déteste Jeph.
Emma : - Après l'avoir adoré…
Cela s’explique.
Peut-être l'aimeras-tu un jour ?
Sako : - Non !
Je me suis toujours opposé à ses propos anarchistes de sombre joueur de flûte.
L’homme doit s’adapter à la société qui l'accueille.
Nous naissons au sein d'une histoire généalogique… la rejeter est inacceptable et dangereux[iv].
C'est la vie ensemble qui nous rend bons.
Seul, nous ne serions encore que dans une animalité désespérante[v]…
Chaque sujet des Bases est un électeur libre et responsable, dans un système entièrement démocratique.
Comme citoyen, il participe ainsi à la construction de la nation, la transforme.
Tout en y vivant heureux parmi ses semblables… il prépare son paradis futur.
Emma : - Je crois davantage que l’homme naît potentiellement libre avec la capacité au bien et au mal, où qu'il soit.
Il se voit hélas très vite enchaîné au temps et à la matière, par la société corrompue qu’il bâtit parfois de ses propres mains.
L'homme perd sa liberté en délégant sa capacité à penser par lui-même.
Donner à des êtres — que nous jugeons donc supérieurs — le droit de légiférer à notre place, c'est se transformer en moutons soumis aux caprices d'un berger qui nous mène où bon lui semble[vi]…
Sako : - Non.
Le peuple a besoin d'une structure.
Chacun y trouve sa place.
L'homme est un animal politique[vii]. La nature est ainsi faite.
Certains dirigent pour que d'autres s'épanouissent dans leur travail.
Il faut un cadre.
Sans les lois, sans les interdits, nous ne pourrions pas vivre en société.
Nous avons besoin de morales, qui se justifient par nos traditions.
Emma : - Peut-être pas.
J'aspire à d'autres routes.
Il y a aussi la recherche de valeurs libérées — l'axiologie[viii] — où les règles du jeu de la vie dépassent les peurs de bien faire ou de mal faire.
Sako : - Tu déraisonnes.
Nous sommes des êtres dualistes.
Notre raison se construit dans la recherche d'une paix et d'un bonheur relatifs par la découverte du bien absolu.
Nous devons évoluer sur cette terre vers la perfection, dans l'amour de Notre Sauveur.
Alors, l'espoir d'une vie meilleure — d’un paradis — s'offre à nous !
Emma : - Oh…
Oui…
J'ai une idée…
Acceptes-tu de m’accorder quelques instants ?
Sako ?
Sako : - Pardon ?
Emma : - Allume ton transfaxe et suis-moi sur la “21”.
Sako : - Pourquoi ?
Emma : - Allez, vite !
Sako : - Bon… la “21” ?
[Une seconde, étonnamment longue à l’immé-diateté de l’esprit, s’écoule sans un bruit pour nous découvrir au pied d’une chaîne de montagnes aux sommets enneigés.]
Emma : - Aimerais-tu prendre avec moi ce magnifique sentier pour t'engager vers le plus haut de ces monts ?
Sako : - Emma, tu sais très bien qu’il n’y a pas de relais traxil dans les zones improductives.
Qu’irions-nous faire là-bas ?
Emma : - Admirer le paysage : les roches, les oiseaux...
Yeph s’y trouve très souvent...
Sako : - Ah ?
Comment peut-il s’y rendre ?
Et dans quel intérêt ?
Il n’y a aucun moyen de se véhiculer.
D’ailleurs, cette zone sauvage est dangereuse depuis la Chalystime...
Emma : - Pas pour Yeph !
C'est son petit coin de paradis à lui… ici, sur cette terre !
Il s’y rend à pied, pour le plaisir des sens.
Sako : - Il est vraiment fou.
Emma : - Certainement… mais son bonheur est là.
Tu sais, il est heureux lorsqu’il se trouve au cœur de la nature.
Je l’ai déjà accompagné.
Sako : - Bien entendu... comme Pol, Chris, Thalia et tous les autres...
Et surtout Tomas !
Emma : - Oui, c’est exact.
Tu es fort jaloux de constater que nous avons su garder ou reprendre le contact avec Yeph, malgré le travail de sape extraordinaire réalisé par Érik et l’Austrel.
Bien qu'il y ait eu la Rumeur…
Maintenant… depuis son retour, aucun de nous ne regrette ces merveilleux moments d’amitiés recouvrées hors de l’espace et du temps.
Sako : - C’est inouï !
Vous êtes vraiment des malades…
Ce que tu racontes n'a aucun sens.
Vous divaguez avec cette histoire de Yeph…
Vous vous complaisez dans la légende… et cela m'est insupportable.
Il y a une réelle escroquerie dans toutes ces fantasmagories et cela nuit à tous.
Je connais très bien Jeph.
Cela fait de nombreux cycles que je le pratique.
Oui… il a eu son heure de gloire…
Oui, il a réalisé quelques bonnes choses et il nous a bien rendu service…
Mais cela suffit !
Stoppons une bonne fois pour toute, cette supercherie.
Sache aussi que je ne l'envie en aucun cas…
Et pour votre attachement à son histoire imaginaire, je trouve cela ridicule et imprudent.
Maintenant, il est grand temps de mettre un terme à son errance qui vous pousse à procrastiner.
À t'entendre me proposer de marcher dans une montagne, sans raison apparente… je prends davantage conscience de la gravité de la situation.
Te rends-tu compte ô combien vous représentez un danger pour notre société ?
Si tous les Primaires se mettent à rêver et à se promener… en moins d'un cycle, notre existence libre est révolue : nous serons morts ou prisonniers des forces de l’Archyeur.
Emma : - Et alors, Sako ?
Sako : - Écoute Emma, tu restes une amie.
J'ai toujours eu beaucoup d'affection pour toi, et tu le sais.
Cela me blesserait d’être contraint de prendre des mesures répressives à ton égard… aussi, je préfère oublier tes propos.
Je rentre à l’Austrel.
Je te prie de revenir un peu dans les usages de la vie sociale.
C’est pour ton bonheur...
Emma : - Mon bonheur n'est pas le tien… encore moins celui dicté par ce Nouvel Austrel… pale copie de celui d'Érik…
Je n'ai que faire de vos us et coutumes !
J’aspire à être libre pour apprendre…
Voilà le sens que je donne à ma vie… sans votre Austrel de malheur !
Sako : - Peut-être pour un temps encore, avant que tu n'ouvres les yeux…
Avant qu'il ne soit trop tard.
Peut-être…
Tu souhaites apprendre ?
Apprends donc que le bonheur de tous doit se construire avec l'attention de tous.
Tu as le droit de ne pas être totalement en accord avec le système, cependant, tu es dans une société avec des lois à respecter.
La majorité a force de raison.
Il est logique de se rassembler autour d'une décision commune, même si tous ne sont pas, encore, totalement en accord…
Et si vraiment notre constitution te semble trop difficile à suivre, va retrouver le peuple de la Cité et rejoins donc les forces de l’Archyeur.
Tu verras vite que nous sommes sur les Bases, beaucoup plus attentifs au bonheur de chacun.
Oui, chez nous, tout va bien car nous savons que la liberté, c’est la loi[i] !
Emma : - Ah oui ?
Pourquoi pas… si elle est à peu près adaptée à nous tous, avec son rôle premier d’être consultatif et préventif… si elle n'est pas répressive ou contraignante.
Une loi se devrait d'être une aide à l'harmonie des désirs, ouverte sur la considération de l'humain, dans un réel respect de la nature.
Sako : - Utopie que cela.
Je ne crois pas en l'axiologie[ii] !
Les valeurs n'existent pas sans la morale, et l'humain ne doit pas se plier aux aléas de cette planète.
Emma : - Je préfère être exclue de ces espaces carcéraux où vous construisez une nouvelle religion, de nouveaux dogmes politiques et donc des répressions à venir pour celles et ceux qui pensent autrement.
Sako : - Notre souci, c’est le bonheur de tous.
Tu le sais, et tu ne peux donc qu'adhérer à notre idéal.
Pourquoi voudrais-tu nous rejeter ?
Pourquoi nier ce qui est bien pour toi ?
Emma : - Mon premier désir est d’avoir la paix !
Sako : - Non !
Tu es, sans en prendre conscience, emprisonnée par les idées folles de Jeph…
Emma : - Ne me crois-tu pas suffisamment indépendante et mature pour penser par moi-même ?
J'ai quitté la Cité parce que je refusais le principe de la greffe seconde, ainsi que les théories d'Érik sur le bonheur…
Tu l'entends ?
Ce n'est pas pour me placer sous la coupe d'un autre tyran !
Ni à la suite de Yeph…
Ni à ton service !
Je n'ai ni dieu, ni maître…
Sako : - Ah, tu vois Jeph comme un dieu maintenant ?
Emma : - C'est toi qui le dis !
C’est toi qui aspires au pouvoir suprême…
Tu te crois le sauveur !
Sako : - Cela suffit.
Tu déraisonnes.
L'on ne peut pas vivre ainsi — comme Jeph — sans dieu et sans loi, au risque de régresser à l'état d'animalité[iii].
Viens nous retrouver demain soir au Conseil de l’Austrel.
Nous avons beaucoup à t’apprendre.
Nos idées sont plus sensées que tu ne l’imagines et elles sont collégiales.
Yeph est un gourou solitaire qui règne en maître profitant des temps troubles.
Bientôt il ne pourra plus nuire car nos projets sont justes et bons.
Le peuple nous suivra, les rebelles reviendront à notre cause.
Jeph sera seul.
La légende de Yeph sera oubliée à tout jamais…
Une rumeur ne dure qu’un temps.
Emma : - Peut-être.
Sako : - Emma, tu sais très bien qu’il n’y a pas de relais traxil dans les zones improductives.
Qu’irions-nous faire là-bas ?
Emma : - Admirer le paysage : les roches, les oiseaux...
Yeph s’y trouve très souvent...
Sako : - Ah ?
Comment peut-il s’y rendre ?
Et dans quel intérêt ?
Il n’y a aucun moyen de se véhiculer.
D’ailleurs, cette zone sauvage est dangereuse depuis la Chalystime...
Emma : - Pas pour Yeph !
C'est son petit coin de paradis à lui… ici, sur cette terre !
Il s’y rend à pied, pour le plaisir des sens.
Sako : - Il est vraiment fou.
Emma : - Certainement… mais son bonheur est là.
Tu sais, il est heureux lorsqu’il se trouve au cœur de la nature.
Je l’ai déjà accompagné.
Sako : - Bien entendu... comme Pol, Chris, Thalia et tous les autres...
Et surtout Tomas !
Emma : - Oui, c’est exact.
Tu es fort jaloux de constater que nous avons su garder ou reprendre le contact avec Yeph, malgré le travail de sape extraordinaire réalisé par Érik et l’Austrel.
Bien qu'il y ait eu la Rumeur…
Maintenant… depuis son retour, aucun de nous ne regrette ces merveilleux moments d’amitiés recouvrées hors de l’espace et du temps.
Sako : - C’est inouï !
Vous êtes vraiment des malades…
Ce que tu racontes n'a aucun sens.
Vous divaguez avec cette histoire de Yeph…
Vous vous complaisez dans la légende… et cela m'est insupportable.
Il y a une réelle escroquerie dans toutes ces fantasmagories et cela nuit à tous.
Je connais très bien Jeph.
Cela fait de nombreux cycles que je le pratique.
Oui… il a eu son heure de gloire…
Oui, il a réalisé quelques bonnes choses et il nous a bien rendu service…
Mais cela suffit !
Stoppons une bonne fois pour toute, cette supercherie.
Sache aussi que je ne l'envie en aucun cas…
Et pour votre attachement à son histoire imaginaire, je trouve cela ridicule et imprudent.
Maintenant, il est grand temps de mettre un terme à son errance qui vous pousse à procrastiner.
À t'entendre me proposer de marcher dans une montagne, sans raison apparente… je prends davantage conscience de la gravité de la situation.
Te rends-tu compte ô combien vous représentez un danger pour notre société ?
Si tous les Primaires se mettent à rêver et à se promener… en moins d'un cycle, notre existence libre est révolue : nous serons morts ou prisonniers des forces de l’Archyeur.
Emma : - Et alors, Sako ?
Sako : - Écoute Emma, tu restes une amie.
J'ai toujours eu beaucoup d'affection pour toi, et tu le sais.
Cela me blesserait d’être contraint de prendre des mesures répressives à ton égard… aussi, je préfère oublier tes propos.
Je rentre à l’Austrel.
Je te prie de revenir un peu dans les usages de la vie sociale.
C’est pour ton bonheur...
Emma : - Mon bonheur n'est pas le tien… encore moins celui dicté par ce Nouvel Austrel… pale copie de celui d'Érik…
Je n'ai que faire de vos us et coutumes !
J’aspire à être libre pour apprendre…
Voilà le sens que je donne à ma vie… sans votre Austrel de malheur !
Sako : - Peut-être pour un temps encore, avant que tu n'ouvres les yeux…
Avant qu'il ne soit trop tard.
Peut-être…
Tu souhaites apprendre ?
Apprends donc que le bonheur de tous doit se construire avec l'attention de tous.
Tu as le droit de ne pas être totalement en accord avec le système, cependant, tu es dans une société avec des lois à respecter.
La majorité a force de raison.
Il est logique de se rassembler autour d'une décision commune, même si tous ne sont pas, encore, totalement en accord…
Et si vraiment notre constitution te semble trop difficile à suivre, va retrouver le peuple de la Cité et rejoins donc les forces de l’Archyeur.
Tu verras vite que nous sommes sur les Bases, beaucoup plus attentifs au bonheur de chacun.
Oui, chez nous, tout va bien car nous savons que la liberté, c’est la loi[i] !
Emma : - Ah oui ?
Pourquoi pas… si elle est à peu près adaptée à nous tous, avec son rôle premier d’être consultatif et préventif… si elle n'est pas répressive ou contraignante.
Une loi se devrait d'être une aide à l'harmonie des désirs, ouverte sur la considération de l'humain, dans un réel respect de la nature.
Sako : - Utopie que cela.
Je ne crois pas en l'axiologie[ii] !
Les valeurs n'existent pas sans la morale, et l'humain ne doit pas se plier aux aléas de cette planète.
Emma : - Je préfère être exclue de ces espaces carcéraux où vous construisez une nouvelle religion, de nouveaux dogmes politiques et donc des répressions à venir pour celles et ceux qui pensent autrement.
Sako : - Notre souci, c’est le bonheur de tous.
Tu le sais, et tu ne peux donc qu'adhérer à notre idéal.
Pourquoi voudrais-tu nous rejeter ?
Pourquoi nier ce qui est bien pour toi ?
Emma : - Mon premier désir est d’avoir la paix !
Sako : - Non !
Tu es, sans en prendre conscience, emprisonnée par les idées folles de Jeph…
Emma : - Ne me crois-tu pas suffisamment indépendante et mature pour penser par moi-même ?
J'ai quitté la Cité parce que je refusais le principe de la greffe seconde, ainsi que les théories d'Érik sur le bonheur…
Tu l'entends ?
Ce n'est pas pour me placer sous la coupe d'un autre tyran !
Ni à la suite de Yeph…
Ni à ton service !
Je n'ai ni dieu, ni maître…
Sako : - Ah, tu vois Jeph comme un dieu maintenant ?
Emma : - C'est toi qui le dis !
C’est toi qui aspires au pouvoir suprême…
Tu te crois le sauveur !
Sako : - Cela suffit.
Tu déraisonnes.
L'on ne peut pas vivre ainsi — comme Jeph — sans dieu et sans loi, au risque de régresser à l'état d'animalité[iii].
Viens nous retrouver demain soir au Conseil de l’Austrel.
Nous avons beaucoup à t’apprendre.
Nos idées sont plus sensées que tu ne l’imagines et elles sont collégiales.
Yeph est un gourou solitaire qui règne en maître profitant des temps troubles.
Bientôt il ne pourra plus nuire car nos projets sont justes et bons.
Le peuple nous suivra, les rebelles reviendront à notre cause.
Jeph sera seul.
La légende de Yeph sera oubliée à tout jamais…
Une rumeur ne dure qu’un temps.
Emma : - Peut-être.
Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste, présente en ligne le Cycle de l'Austrel, tome troisième : Comme une abeille hors de sa ruche… Tous droits réservés ©
Auteur : Yves Philippe de Francqueville