© Le cycle de l'Austrel,
tome premier : Souvenir d'un amour,
des écrits de Yves Philippe de Francqueville,
pirate des mots et philanalyste en herbe.
Première partie :
tome premier : Souvenir d'un amour,
des écrits de Yves Philippe de Francqueville,
pirate des mots et philanalyste en herbe.
Première partie :
Laurie :
— Tu sais Yeph, ce serait merveilleux si nous osions donner naissance à un enfant, toi et moi…
Érik :
— Quoi ?
Mais, Laurie, c'est interdit par le Centre… Tu es féconde !
Phil :
— Et en pleine ovulation.
C’est un comble !
Tu remets encore en question, par tes désirs dépassés, le règlement de la société qui t’a sauvé la vie.
Yeph :
— Laisse-nous discuter librement, Phil.
Si tu représentes aujourd’hui la morale et les lois nouvelles, ton pouvoir ne peut pas encore diriger nos corps et nos cœurs.
Érik :
— Moi, si : je suis l’autorité !
Avec de pareils propos, Yeph, tu renies les décisions prises.
La majorité du peuple a voté pour moi ; tu dois donc te plier aux positions du Haut Conseil dont tu restes — encore à ce jour — membre de droit.
Prochainement, sache-le, tu seras greffé comme tout le monde.
Laurie :
— Toi aussi, Érik, tu devras l'être, et si c'était en greffe troisième, nous t'enverrions dans les plantations d'algues vertes.
Ta place d’Archyeur est certes honorable, mais tu deviens glacial.
Je te vois rejeter de plus en plus toute notion d’amour.
Érik :
— Tes propos ne me touchent guère… et ces menaces sont stupides, Laurie. Cette situation m'oblige cependant à vous mettre en garde tous les deux.
Votre relation très malsaine risque de fragiliser la paix de la Cité.
L’amour est comme le bonheur : nous devons le contrôler pour le bien de tous.
La liberté entraîne toujours des exactions.
Sache aussi que je tiendrai parole en montrant l'exemple devant le peuple. Oui, je serai greffé, pour qu'il comprenne que son Archyeur ne craint pas cette merveille, réalisée par nos médecins les plus sages et les plus savants.
Emma :
— Vous voulez lobotomiser le reste des humains, vous inclus… C'est donc la fin de notre civilisation.
La révolte grondera tôt ou tard…
Phil :
— Tu as des propos gravement subversifs, Emma…
Faites comme nous, Yeph, Laurie…
N'écoutez pas cette folle qui refuse notamment l'égalité des sexes.
Pourquoi ne respectez-vous pas non plus, le principe établi de survie ?
Nos lois actuelles sont construites sur la recherche saine d’une nouvelle société où la vie meilleure s’offre à nous tous comme la quête première de l’humain.
Bientôt, être heureux sera une réalité naturelle.
Pourquoi n'êtes-vous pas enfin raisonnables ?
Yeph :
— Avec des greffes troisièmes, nous n'aurons même plus la possibilité de raisonner.
Érik :
— Si.
Vous serez enfin orientés vers le bien absolu : plus de crime, de perversion, de violence, de folie.
C’est pour bientôt le Grand Jour de la paix éternelle, avec chacun de nous responsable d'une mission pour le bon fonctionnement de la Cité.
Tous, nous travaillerons, chacun reconnu pour ses capacités et respecté pour ce qu'il est.
Yeph :
— Et que restera-t-il de notre humanité ?
Phil :
— Le meilleur !
Emma :
— Plus rien de plaisant selon mes goûts !
Et je ne vois pas en quoi la femme et l'homme pourraient appeler de leurs vœux une égalité à tout prix ?
Je ne suis pas féministe pour autant… car le féminisme est une affaire d'homme…
Je lutte pour une considération sincère de notre spécificité et la prise de conscience d'une complémentarité !
Laurie :
— Mais pourquoi, dans cette société idéale, ne puis-je pas porter un enfant ?
J’ai besoin de sentir en moi cette chance de devenir mère.
Phil :
— Et te voir déformée par une grossesse ?
Et faire perdre à la Cité une douzaine de cycles, avant de retrouver ta fécondité ?
Érik :
— Il faut nécessairement savoir se sacrifier un peu, Laurie.
Aussi, sache que l’idée de mère et de père est d’un grand danger pour une société qui cherche une harmonie réelle.
Nos penseurs — sur une analyse des travaux des siècles passés — ont enfin compris que le garçon, dans ses gènes, est construit naturellement pour tuer le père et conquérir la mère. Il en est de même inversement pour la fille[i]. Tes rêves se transformeraient en d’horribles souffrances affectives et physiques si tu osais la réalité d’une grossesse…
Avant nous, le monde fut un éternel champ de bataille.
Nous proposons aujourd’hui un changement, une évolution, afin de donner une réelle chance à l'humanité de vivre dans la paix.
Emma :
— Et c’est cela votre solution ?
Je crois que vos médecins psycho-analystes pensent qu'il serait plus utile de supprimer chez la femme la reconnaissance de sa matrice, afin d'imposer un réel pouvoir sur elle.
Phil :
— Tu racontes vraiment n'importe quoi, Emma.
Par notre sage choix de donner naissance au moyen de centrales matricielles, nous offrons à tous, le bonheur d’aimer l’enfant, sans en subir l’ascendance destructrice.
C’est aussi rejeter enfin l'arbitraire de la stérilité ou du handicap, pour ne pas nommer celui du sang !
Emma :
— Vous tentez surtout d'oublier le sentiment d'injustice qui vous hante — vous, les mâles — en supprimant le sentiment de frustration que provoque chez vous l'absence de matrice…
Oui, l'homme est inutile sur notre petite planète[ii] !
Phil :
— Ridicule…
L'humain — être supérieur — se suffit à lui-même et ce petit sacrifice de la maternité demandé à la femme, nous prépare tous à la liberté des générations à venir.
La femme n'est plus soumise ainsi à cette dimension animale. Elle rejoint enfin l'homme dans une égalité réelle.
Yeph :
— Et pourquoi ne supprimerions-nous pas alors le phallus des hommes qui fait certainement injure à la femme en instaurant cette discrimination physique dès l’origine ?
Emma :
— Ah, cher Yeph… j'adore ton humour !
Je ne suis pas certaine que l'ablation du pénis serait la solution pour ôter à l'homme son sentiment de supériorité…
Cependant je remarque de plus en plus que votre organe, à force de disparaître de notre vue, se ridiculise dans votre culotte !
Où sont les hommes, avec leurs sexes pleins de charme ?
En avez-vous encore un, messieurs du Haut Conseil de l'Austrel ?
Vous exhibez les femmes dénudées à chaque coin de rue sur des publicités alors que les hommes se cachent derrière une pudibonderie étrange…
Je veux voir des verges en liberté !
Phil :
— Certainement pas… Ce serait outrageant.
Yeph :
— Ou complexant pour des frustrés de la zigounette, comme toi…
Érik :
— Cela suffit.
Votre démonstration montre bien la nécessité de réglementer davantage la sexualité des hommes et des femmes.
Heureusement, il est déjà formellement interdit de se montrer nu, soit… et bientôt plus un seul être n'en aura l'envie.
L’homme aussi n'abusera plus de la femme pour l'obliger à vivre des grossesses successives traumatisantes.
Oui, comme la Machine est opérationnelle, pourquoi continuer à permettre l'accouplement ?
Laurie :
— Non… Il ne faut rien changer !
J'aime faire l'amour… c'est merveilleux.
Aussi, je pense que la liberté de porter un enfant vaut tous les sacrifices et toutes les souffrances.
J’éprouve le besoin de me poser de nouvelles questions et de donner un sens à ma vie de femme… en tant que mère !
Emma :
— Je ne suis pas totalement d'accord avec toi, Laurie.
Oui pour être mère… avec plaisir, quand je le désirerai, quoi qu'en pense notre Haut Conseil.
Cependant, je refuse le sacrifice quel qu'il soit : pas question de subir une quelconque souffrance. Donner naissance, c'est une joie partagée… un plaisir !
Marteler dans la tête d'une femme qu'une grossesse est douloureuse… la stresser sur l'évolution de l'enfant dans son ventre, pour prôner le risque zéro et imposer un accouchement surmédicalisé sous de multiples prétextes… tout cela a construit des peurs qui nous mènent aujourd'hui à l'absurde…
Vous avez manipulé le cœur des femmes pour supprimer leur force de procréation naturelle. La maternité est selon moi un extraordinaire cadeau, tout en prenant conscience que nous, femmes, enfantons la vie et la mort…
Je sais aussi être créatrice !
C'est cela être femme : avoir la plénitude de donner naissance à l'univers…
Je suis une Gaïa !
Phil :
— Tu dis n’importe quoi, Emma !
Ne te crois surtout pas le centre du monde…
Renoncer à son égoïsme et penser au bien de la société… c'est un des premiers pas essentiels vers la paix.
La liberté viendra du rejet pur et simple de notre nature narcissique !
Tes palabres sont la résultante d'une analyse erronée, prônée par Yeph et ses disciples. Tu es leur prisonnière inconsciente, soumise… esclave malgré toi.
Emma :
— Tu es encore plus fou que je ne le pensais…
Votre liberté, ce serait obéir aux décisions du Haut Conseil ?
Je ne peux l’accepter !
Phil :
— Tais-toi Emma… tu es malade !
La femme — nous le savons tous — est fragilisée dans la rencontre par le manque… un concept sur lequel il n'y a pas à débattre : il vous manquait le phallus et vous vouliez que l'enfant mâle — le fils — soit ce phallus existentiel dans la vie de tous vos hommes inaccessibles, une obstruction permanente pour satisfaire ce manque… mais fallait-il que cela soit ?[iii]
Ah… tout cela est bien fini. L'équilibre de la femme passe enfin par la disparition des pulsions de l'homme à son égard, qui ne pouvaient que la rendre jalouse de notre corps sexué.
Notre société a atteint enfin son degré maximal d'évolution. Nous sommes dans la construction de la perfection.
Apprends donc simplement à obéir, Emma… et tu seras heureuse.
Il est bon de ne plus se poser de questions vaines et sans réponse, afin d’agir tous ensemble pour le bien commun.
Érik :
— Bientôt, la vie sera merveilleuse !
Votre utérus ne sera plus la préoccupation de votre quotidien… finie l'hystérie…
Oui, mesdames, vous serez détachées de cette souffrance, et nous ne serons plus à même de vous rappeler par notre mauvaise influence, cet état physique qui ne vous définit que par la négative : ce néant qui vous conduit à l'envie, par l'absence[iv].
Emma :
— Je ne vois pas en quoi : tant qu’il y aura des pénis — comme le rappelait Yeph — Nous constaterons toujours notre différence de sexe… mais je désespère à vous entendre parler ainsi de la femme…
Pauvres mâles… Que savez-vous de moi, de nous, au-delà de vos rêves, de vos fantasmes, de vos frustrations… et à travers toutes ces théories fumeuses, construites par vos pairs ?
C'est hallucinant de vous savoir encore embastillés dans ces concepts qui font de la femme un être inférieur.
Allez-vous comprendre un jour que l'homme est une femme comme les autres, dépourvu cependant d’une capacité à se reproduire ?
Vous combattez la femme car vous vous savez inutiles dans l'univers…
Oui, nous — les femmes, des femelles — sommes par notre nature, en mesure de nous suffire à nous-mêmes[v]. Vous êtes un élément facilitant la survie de l'espèce, et vous cherchez désespérément à donner plus de sens à votre vie, avant comme après le coït…
Hélas… l'homme est un pauvre animal triste[vi] qui se meurt d'avoir fécondé et qui n'a pas de raison d'être au-delà de son phallus !
Yeph :
— Ah, ma chère Emma, je suis en plein accord avec ton analyse.
Un peu brute de décoffrage et nombriliste à souhait, non ?
J'aime ton caractère qui te permet de dévoiler les ondes de choc et les ondes de charme avec art !
La vie de l'homme — en tant que mâle — est en effet complexe, par son absence de sens réel au niveau animal. Vous, les femmes, êtes régulées par l’instinct de perpétuer la race… Cela implique aussi une nécessité à savoir s'éveiller à d'autres portes, si vous désirez évoluer de l'état de femelle vers celui d’être humain.
Le sens de notre existence est à saisir pour nous tous !
Il y a la procréation[vii]… soit… qui n'est plus dans notre réalité masculine… Je me passionne alors — comme toi, ma très chère — pour la création.
Sache Phil, que la liberté ne saurait pas naître d'un sacrifice ou d’un rachat[viii].
L'homme deviendra libre le jour où il se révélera à lui-même.
Certains tentent depuis des millénaires de donner sens à leur existence tout en luttant contre le carcan des institutions et de la morale.
Érik et toi, avec les membres de l’Austrel, vous nous offrez de tomber à nouveau dans un obscurantisme désespérant qui nous conduira à de nouvelles guerres stériles que vous rejetez cependant…
Emma :
— Hélas… à ce jour, très peu de bipèdes peuvent prétendre mériter l’appellation d'humains[ix]…
Érik :
— La faute, la faute, toujours la faute !
Lorsque l’homme chute, c’est en raison du mal qui est en lui.
Le bien le fait grandir.
Chasser le mauvais pour laisser le meilleur nous élever, voilà le projet de notre nouvelle société.
Avec notre greffe cellulaire, l'homme ne pourra plus faire le mal.
Il sera donc libre d’agir totalement pour le bien[x].
Emma :
— L'absence de choix se présente ici plutôt comme une suite d'interdits ou d'obligations… une lobotomisation chimique, pour nous rendre obéissantes à la voix du maître !
Je veux être libre !
Je n'ai pas envie de survivre dans une sousvie !
Yeph :
— Ah, vivre libre !
La liberté serait — par-delà l'idée de bien et de mal[xi] — d’être capable de choisir entre ce qui nous construit, et ce qui pourrait nous abîmer.
Je ne souhaite pas ton monde, Érik… Je refuse cette Cité où nous serions des abeilles butineuses dans une ruche parfaite.
L'homme naît pour se découvrir et exister par lui-même. Le corps n'est pas un problème pour l'homme… il est un des outils de la rencontre, à mettre en harmonie avec le cœur pour que l'esprit ne se frustre pas.
Ce n’est pas en évitant l’idée de mal que le monde évoluera vers la paix, car le mal est non quantifiable et non universel, tout comme le bien.
Bien, mal, c’est une vue de l’esprit.
Je préfère plutôt m’intéresser à ce qui élève l’être… Vivre et savourer l'instant en préparant demain. Je ne crois pas à la paix éternelle : lorsque le danger d’un conflit n’est plus intérieur, il vient nécessairement d’ailleurs, de l’extérieur.
Tout se régule naturellement par la peur et le manque, la jalousie et l'envie. Il y aura encore des guerres si l'amour n'est pas la source de notre désir.
Phil :
— Tu te trompes, Yeph.
Nous n’avons plus rien à craindre aujourd’hui.
Depuis la Chalystime, ici, chacun trouve sa place en fonction de ses capacités.
Bientôt, notre intelligence, analysée et gérée par la greffe seconde, nous assurera qu’il n’y a aucune injustice dans ce monde sain.
De plus, notre gestion des quotients est parfaite[xii].
Enfin, quant au mal, considérons-le comme correspondant à ce qui nuit à la collectivité, menace son équilibre et n’aide pas au progrès.
[i] Merci au docteur Sigmund FREUD pour toutes ses idées plus ou moins originales qui ont permis à beaucoup de réfléchir sur le sens de la vie dans la relation humaine, au-delà des totems et des tabous.
[ii] Merci au docteur Éric VILAIN, pédiatre généticien, pour son ouvrage intitulé « L'inutile Adam ». Ce passionné de « l’identité sexuelle » avant l’heure devrait être un peu plus écouté… Ses travaux sur la fragilité de l’homme comme « reproducteur » et sur les questions fondamentales sur les gènes sexuels sont remarquables.
[iii] Merci au docteur Jacques LACAN, ce grand chercheur, créateur et fossoyeur d’un regard sur la psychanalyse ; il est l’inventeur d'un langage réservé pour lui-même et ses adeptes…
[iv] Merci encore à Jacques LACAN, le prince du contrepet.
Pour Jacques LACAN — bien explicité par la démonstration d’Éric VILAIN dans « L’inutile Adam » — la différence fondamentale entre l’homme et la femme, c’est leur relation vis-à-vis de la castration. Oui, « tout le monde possède un phallus » selon le « point de vue de l’enfant mâle » et la formule explicite est formelle :
Voir les deux schémas en notes, à la fin de l'ouvrage…
Oups… Faut-il encore aller faire un séminaire ?
Juste une traduction pour « faire simple » : la femme selon LACAN comporte un élément non définissable perturbateur, et comme l’homme se définit par rapport à une exception — la femme qui a subi la castration — on ne peut pas parler de « LA femme » puisqu’elle n’existe pas en tant qu’entité entièrement définissable…
LACAN sait donc que nous ne pouvons parler que « DES femmes »…
Hélas… Quand sortirons-nous de ce drame de l’enfance du jeune Jacques ?
Ce n’est pas la femme qui est une exception… ce serait plutôt l’homme, par son absence de matrice ! Le phallus ne manque pas à LA femme.
[v] Merci au film « Jurassic Parc » de Steven SPIELBERG, où le crédule savant un peu fou a pensé à tort, qu'en laissant des femelles dinosaures entre elles, il n'y aurait pas de reproduction…
[vi] Merci à la nature de nous trouver un sens à l’existence de l’homme, après le rapport sexuel ! L’hermaphrodisme est dans la nature de la femelle…
[vii] Merci à PLATON où dans « Le Banquet », malgré les traductions et les copies orientées à la dérision, nous pouvons saisir l'origine hermaphrodite de l'humain.
[viii] Merci à Jésus dit le Nazaréen, celui dont on nous explique qu’il a été envoyé par son père pour nous sauver… et nous libérer du « mal », en souffrant sur la croix par amour !
Et le père, ce dieu d’amour, il faisait quoi pendant ce temps-là ? Certains iraient même jusqu’à l’accuser : n'aurait-il pas pu venir lui-même, plutôt que de laisser son fils se faire massacrer ? Pour davantage d’explications voici un extrait du troisième volume sur « La vie de Jésus », du pape Benoît XVI :
« Dieu est amour. Mais l'amour peut être haï quand il exige que l'on sorte de soi-même pour aller au-delà de soi. L'amour n'est pas une sensation romantique de bien-être. La rédemption n'est pas wellness, un bain d'auto-complaisance, mais une libération de l'être compressé dans son propre moi. Cette libération a pour prix la souffrance de la Croix.»
Non, Joseph RATZINGER, pape d’un temps, la haine de l’amour est aussi désespérante que la souffrance par amour… pour espérer être sauvé… et de quoi, et de qui ?
La liberté ne se construit pas dans le sang des autres ou du sien par amour pour l’autre, mais elle se gagne dans l’intérêt et si possible le plaisir par amour pour soi, et peut rayonner jusqu’à l’autre… « La rédemption » est un grand leurre politicien et religieux qui endort le faible !
On n’achète pas sa liberté (Haïti en paye toujours la dette) et le travail ne rend pas libre non plus (Souvenons-nous de la tristement célèbre devise d’un des camps de la mort). La liberté se conquiert par la lutte personnelle, et l’arme la plus sublime est la recherche de la connaissance — dégagée des morales totalitaires, religieuses ou politiques — qui exige de l’audace, et un autre regard sur soi-même.
Nous ne sommes pas coupables des « fautes » de nos pères…
[ix] Merci à Marguerite YOURCENAR. Cette grande dame a cherché toute sa vie des humains, parmi les bipèdes qui se succèdent depuis Adam… Son livre « L’Œuvre au noir » nous offre la « formule » qui permettrait peut-être d’accéder à l’humain !
[x] Merci à l’évêque d'Hippone dit Saint-Augustin. Ce grand manichéen, converti à SA religion issue d'une idée du christianisme, expliquait dans « La Cité de Dieu », que par sa nature angélique, « au Paradis, l'homme serait libre car il ne pourra plus pécher ».
[xi] Merci à Friedrich NIETZSCHE, qui souhaitait sincèrement réformer la philosophie et l'académie…
Ce grand sensible, ce « génie du cœur », a cherché des amis capables d'avancer avec lui vers les grandes questions que les autres philosophes avaient laissées — selon lui — non résolues malgré leurs certitudes.
[xii] Merci à Aldous HUXLEY, et à son « Meilleur des Mondes », où les naissances sont gérées à la perfection.
[Tomas apparaît, mais Phil ne l’aperçoit pas immédiatement.]
Phil :
— En lien avec tes capacités, tu vivras paisiblement dans l’espace que tu es en mesure de reconnaître. La Cité est un paradis en devenir, créé pour tous.
Tomas :
— …Et celles et ceux qui n’entreraient pas dans vos grilles, les inadaptés à votre idéal… où les rangez-vous ?
Laurie :
— Salut Tomas !
Emma :
— Toujours un plaisir de t'entendre… j'aime ton analyse !
Érik :
— Que fais-tu là, Tomas ?
Ta place est à l’instruction !
Tu seras nécessairement puni.
Yeph :
— …Reviens si tu le souhaites, lorsqu’ils seront partis !
Tomas :
— À tout’ !
— En lien avec tes capacités, tu vivras paisiblement dans l’espace que tu es en mesure de reconnaître. La Cité est un paradis en devenir, créé pour tous.
Tomas :
— …Et celles et ceux qui n’entreraient pas dans vos grilles, les inadaptés à votre idéal… où les rangez-vous ?
Laurie :
— Salut Tomas !
Emma :
— Toujours un plaisir de t'entendre… j'aime ton analyse !
Érik :
— Que fais-tu là, Tomas ?
Ta place est à l’instruction !
Tu seras nécessairement puni.
Yeph :
— …Reviens si tu le souhaites, lorsqu’ils seront partis !
Tomas :
— À tout’ !
[Tomas se téléporte aussitôt.]
Phil :
— Tu risques beaucoup pour ton avenir, Yeph.
Ton influence destructrice corrompt la jeunesse[i] !
Oui… en ne respectant pas les interdits du Centre, c’est l’harmonie de la Cité que tu mets en danger.
Nous saurons au plus tôt vous séparer !
Érik :
— Plus rien ne vous unit.
Nous l’avions bien décidé ainsi.
Les fratries n'existent plus.
Yeph :
— Il y a des liens qui se rattachent à des souvenirs au-delà de notre mémoire intelligible.
Aimer… Ce mot comporte-t-il des interdits ou des obligations ?
Tomas est un garçon sauvage[ii]. Sa liberté ne peut être emprisonnée dans un quelconque apprivoisement. Son corps n'a aucun interdit, aucune honte, aucune morale… Il est régi par des valeurs qui lui sont propres !
Phil :
— Notre Cité a été créée sur un champ de ruines. Les nouvelles lois sont pour tous.
Sans la Cité, l’humanité ne serait plus.
L'amour — le corps principalement — doit être régulé… comme le reste… afin que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles[iii].
Laurie :
— Soit, la Cité est nécessaire… Et il lui faut, bien entendu, des lois.
Cependant, comme les souffrances du passé sont maintenant écartées, j’aimerais voir quelques droits anciens restaurés… Pour les êtres supérieurs, bien entendu !
Yeph :
— Je ne crois pas aux surhommes !
Désires-tu vraiment une caste de purs et durs ?
D’après moi, cela ne tient pas.
Phil :
— C’est bon, Yeph, tu ne crois en rien de ce que nous proposons pour le bien du peuple, c’est acquis !
Tes tourments me peinent finalement.
Tu es un monstre d'égocentrisme, et très malheureux certainement.
Va…
Fais ce qu'il te plaît le temps qu'il te reste avant la greffe.
Encore très peu de jours et grâce à nous, tu seras en paix.
[i] Merci à SOCRATE pour avoir osé demander à la cour de justice d'Athènes de le loger et de le nourrir en remerciement des services rendus à la Nation.
[ii] Merci à William Seward BURROUGHS, celui qui ose le trash et le hard avec une certaine poésie pour gagner sa liberté sur les morales du monde, notamment dans « Les Garçons Sauvages » ou « Le Festin nu ».
[iii] Merci à PANGLOSS, cet homme tout en parole, et rendons hommage à son maître Gottefried Wilhelm LEIBNIZ, expert en Monadologie…
Pour ne pas tomber dans le binaire, ils ont trouvé une solution efficace : être monolithique.
— Tu risques beaucoup pour ton avenir, Yeph.
Ton influence destructrice corrompt la jeunesse[i] !
Oui… en ne respectant pas les interdits du Centre, c’est l’harmonie de la Cité que tu mets en danger.
Nous saurons au plus tôt vous séparer !
Érik :
— Plus rien ne vous unit.
Nous l’avions bien décidé ainsi.
Les fratries n'existent plus.
Yeph :
— Il y a des liens qui se rattachent à des souvenirs au-delà de notre mémoire intelligible.
Aimer… Ce mot comporte-t-il des interdits ou des obligations ?
Tomas est un garçon sauvage[ii]. Sa liberté ne peut être emprisonnée dans un quelconque apprivoisement. Son corps n'a aucun interdit, aucune honte, aucune morale… Il est régi par des valeurs qui lui sont propres !
Phil :
— Notre Cité a été créée sur un champ de ruines. Les nouvelles lois sont pour tous.
Sans la Cité, l’humanité ne serait plus.
L'amour — le corps principalement — doit être régulé… comme le reste… afin que tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles[iii].
Laurie :
— Soit, la Cité est nécessaire… Et il lui faut, bien entendu, des lois.
Cependant, comme les souffrances du passé sont maintenant écartées, j’aimerais voir quelques droits anciens restaurés… Pour les êtres supérieurs, bien entendu !
Yeph :
— Je ne crois pas aux surhommes !
Désires-tu vraiment une caste de purs et durs ?
D’après moi, cela ne tient pas.
Phil :
— C’est bon, Yeph, tu ne crois en rien de ce que nous proposons pour le bien du peuple, c’est acquis !
Tes tourments me peinent finalement.
Tu es un monstre d'égocentrisme, et très malheureux certainement.
Va…
Fais ce qu'il te plaît le temps qu'il te reste avant la greffe.
Encore très peu de jours et grâce à nous, tu seras en paix.
[i] Merci à SOCRATE pour avoir osé demander à la cour de justice d'Athènes de le loger et de le nourrir en remerciement des services rendus à la Nation.
[ii] Merci à William Seward BURROUGHS, celui qui ose le trash et le hard avec une certaine poésie pour gagner sa liberté sur les morales du monde, notamment dans « Les Garçons Sauvages » ou « Le Festin nu ».
[iii] Merci à PANGLOSS, cet homme tout en parole, et rendons hommage à son maître Gottefried Wilhelm LEIBNIZ, expert en Monadologie…
Pour ne pas tomber dans le binaire, ils ont trouvé une solution efficace : être monolithique.
[Phil se téléporte.]
Emma :
— Tu ne vois vraiment rien de bon parmi toutes les lois actuelles de la Cité ?
Yeph :
— Peut-être que chaque individu a son unicité qui le différencie de l'autre ?
Imposer la même manière de penser, de vivre… pour tous, est terriblement réducteur de notre humanité. La société devrait être à l'écoute du peuple et non l'inverse… mais le peuple n'a pas encore beaucoup évolué pour s'élever de son animalité !
Emma :
— Est-ce alors une régression ?
Oui ?
Autrefois…
L'amour filial, la famille… cela avait du sens, avant la Chalystime…
Qu’en penses-tu, Yeph ?
Érik :
— La première fratrie de l'humanité s’est achevée par une tragédie[i] !
Laurie :
— Sûrement… mais je suis d'accord avec Emma : l'humain a évolué…
Yeph :
— Oui et non !
Notre nature a en effet des bases animales violentes où la survie de l'espèce prime sur le plaisir et la paix. Aussi, la route s'avère encore longue pour espérer voir naître vraiment l'amour humain…
J'aime trop la liberté pour imposer quoi que ce soit à l'homme, au risque de le voir encore stagner dans son évolution.
Je ne partage donc toujours pas l’avis de Phil.
C’est peut-être un état apparent pour beaucoup, mais la greffe seconde ne saurait supprimer notre inconscient.
Il est à imaginer que tôt ou tard, des situations extrêmes ou exceptionnelles, pourraient réveiller des souvenirs très anciens.
Aussi, être en paix ne devrait pas devenir un but dans la vie de l'humain, mais cela serait un outil pour cheminer vers le plaisir de senser[ii] sa vie.
Cultiver la sagesse n’entraîne pas nécessairement la joie[iii].
Érik :
— Que veux-tu d’autre pour l'homme ? Nous lui offrons le bonheur d'exister en plénitude…
Yeph :
— Il en deviendra simplement béat !
Vous envisagez finalement de ne plus lui donner la possibilité de penser…
Emma :
— Ne plus penser, ne plus décider… ne plus être !
Érik :
— Si, mais toute pensée sera orientée vers le bien… et toute action vers l'utile.
Yeph :
— À quoi cela peut-il bien servir, “l'utile”, dans la vie d'un homme ?
Pour toi Archyeur, le plaisir est inutile ; le beau est inutile[iv], le rire est inutile.
Tu nous transformes en abeilles dans ta ruche à miel, persuadé de notre accord bienveillant.
Tu es, hélas, convaincu d’agir pour la bonne cause, puisque tu as reçu démocratiquement la gouvernance de la Cité !
Emma :
— Oui, pour sûr !
Des élections dites démocratiques, où les millions dépensés ont permis d'acheter les poignées de voix qui ont fait la différence… pour cette fois.
Yeph :
— Les moutons ont choisi leur nouveau berger… tu as peu de temps devant toi avant le prochain orage !
L’abeille au travail ne regarde pas le bleu du ciel incomestible ![v]
Semble-t-il…
A-t-elle encore un plaisir des sens, pour la beauté de l’amandier en fleurs à butiner ?
Rappelle-toi aussi qu’un peu moins de la moitié des membres du Haut Conseil avait préféré les idées du professeur Bruno, en refusant la Chalystime.
Laurie :
— Yeph a raison. Mais Bruno n’est plus et depuis, beaucoup ont rallié la cause d’Érik.
Peut-être davantage par peur que par conviction, d’ailleurs.
Oui, il y a les moutons… le monde au travail pour le bien de la Cité… mais je suis membre de l'Austrel.
La greffe seconde est certainement utile pour les inférieurs, mais pour nous, je doute très sincèrement de son intérêt.
Mon rêve, mon souhait, ma raison d'être, serait de porter un enfant, mon enfant…
Je suis une femme, j’aime Yeph et j’ai le désir d’être mère grâce à lui !
Pour le peuple, il est indispensable de réguler les naissances, mais pourquoi voulez-vous supprimer chez nous aussi cette dimension humaine ?
Érik :
— Laurie, tu fais partie des dernières dames à désirer cette folie !
La Cité vous donne aujourd’hui, grâce à la Machine, de beaux enfants sans défauts, sains de corps et d'âme.[vi]
Laurie :
— Peut-être, mais ils sont tous parfaits et asexués…
Érik :
— C'est merveilleux.
Yeph :
— Hélas, ils sont façonnés dans une pensée unique et stérile !
Laurie :
— Oui, Yeph a raison, ce sont de petits saints, des anges…
Emma :
— C'est insupportable !
Les commissions d'éthique réalisent finalement avec le Centre, la confection d'eunuques angéliques… de pauvres types utilitaires au bon fonctionnement de la Cité[vii].
Érik :
— Tous ne sont pas stériles, car nous avons encore besoin de gamètes.
Pour les autres, cela ne les prive pas d’une paix et d’une sérénité réelle : oui, ils sont paisibles et heureux !
Yeph :
— Non et non !
Mon pauvre Érik…
Ils sont peut-être dans une plénitude béate, mais pour être heureux il faut savoir ce qu'est le malheur et pouvoir choisir…
Lutter, apprendre, œuvrer par et pour soi-même.
Je suis contre l’instrumentalisation de l’homme par l’homme ! L’idée aristotélicienne du bien-fondé des esclaves est aussi insupportable que celle de la souffrance.
Érik :
— Non… connaître la souffrance, c'est déjà percevoir le mal.
Je supprimerai tout ce qui est nuisible à l’homme.
Yeph :
— Le feu brûle, le froid peut geler… tu resteras tiède toute ta pauvre vie, mon cher Érik, par peur de la souffrance ?
Laurie :
— Est-ce une faute, de porter un enfant ?
Emma :
— Pas une faute… mais cela n'entre plus selon les lois de la Cité dans les droits et la liberté de la femme…
Érik :
— C'est plus qu'une faute, Laurie : c'est désormais strictement interdit pour ton bien… sous peine d'être kryfluxirée.
Tu risquerais en effet de voir naître une progéniture avec des tares et tu mettrais surtout ta vie en danger.
Les statistiques sur tests génétiques montrent par probabilités — à partir d'échantillons représentatifs certifiés sur la base des quotas — une sécurité fiable à 87 % en gestation humaine, tant pour la santé de la mère que pour les anomalies ou les handicaps chez l'embryon.
Nous prônons le risque zéro.
Nous réalisons le risque zéro.
Nos centrales matricielles sont parfaites : aucun défaut !
Pour les 13 % de déchets issus de la matrice des mères porteuses, ils furent toujours une source de problèmes lors des rapports des comités d’éthique, quant à leur élimination…
Laurie :
— C'est horrible !
Érik :
— Tu vois : ta réaction est la preuve du danger réel présenté par une reproduction sauvage dans notre Cité.
Il n'est plus possible de laisser chaque individu user de ses pulsions. Notre équilibre serait gravement mis en branle.
Yeph :
— L'homme existe justement par ses sens.
J’aime vivre l’amour ; je suis toujours en quête de plaisir.
Laurie :
— Moi aussi !
Emma :
— Et moi donc…
Érik :
— Les greffes troisièmes suppriment enfin le dernier côté animal de l'homme. Il devient angélique.
Laurie :
— Nous ne sommes pas des animaux, soit, mais nous ne sommes pas des anges non plus !
Érik :
— Nous sommes appelés à être comme eux…
C’est le Paradis sur Terre qui s’annonce !
C’est merveilleux.
La Cité se suffit maintenant à elle-même, pour que nous tendions à devenir « purs esprits »… des anges !
Emma :
— Alors qu'eux-mêmes nous envient ce corps qu'ils n'ont pas ?
C’est un leurre.
Qui fait l'ange, fait la bête ![viii]
C'est une folie qui se transformera en tragédie !
Yeph :
— Folie en effet !
Notre corps est aussi notre raison d’être !
Laurie :
— Les machines n’ont pas d’âme !
Yeph :
— Laurie a peut-être raison pour les machines…
Quant à la négation de notre part biologique et animale, cela risque davantage de nous éloigner de la nature.
Notre monde fut stérilisé à outrance après la Chalystime et nous en subissons gravement l’onde de choc.
La Broth continue à s’étendre…
Les zones préservées sont rares et nous oublions encore que nous appartenons à la Terre… et non l’inverse !
Emma :
— Hélas.
La part angélique idéalisée par Érik cache aussi le drame de notre rupture avec la mère nature !
Yeph :
— L'homme est né pour exister en harmonie, cœur, âme et corps !
L’harmonie est à considérer pour soi-même, pour le même et pour l’autre…
Aller à la rencontre de l’autre se vit aussi par notre corps, avec la nature minérale, végétale et animale !
Non pas pour s'imaginer dominer « tout autre » que soi-même, ou devenir pur esprit. C’est une dispute de chaque instant : chercher une raison d'aimer, de vivre, au-delà de la routine sociétale.
[i] Merci au « Livre de la Genèse ». Oui, si le père divinisé n'avait pas préféré l'offrande sanglante d'Abel, le brave Caïn — cueilleur et laboureur — n'aurait pas été jaloux.
C’est dramatique d’en arriver à un fratricide !
[ii] Merci à Vincent CESPEDES, philosophe audacieux qui tente de faire entrer dans le dictionnaire quelques mots fort utiles pour "senser" nos idées.
[iii] Merci au Dalaï Lama, ce tyran au sourire béat… pour ses propos sirupeux de bonté, ses actions pour la paix dans le monde et ses temples dorés à l’or fin pendant que son peuple meurt de faim…
Oui, car la béatitude n'entraîne pas nécessairement le bonheur…
Lorsque l’on est pauvre paysan, pour espérer le meilleur pour l'après, il faut donner sa récolte aux bons moines qui prient sans avoir faim…
[iv] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY et à son allumeur de réverbères que j'ai retrouvé dans un des écrits d'Anatole FRANCE.
(…)« Ce que j’attendais que l’abbé M. nous apprenne ce soir, c’est s’il y a un allumeur de réverbères, là-haut, si quelqu’un se promène dans le fantastique décor céleste, allumant et éteignant les étoiles »(…) des « Dernières conversations avec Anatole France », par Nicolas SÉGUR.
[v] Merci à Anatole France… en souvenir du « petit chien de Monsieur Bergeret qui ne regardait jamais le bleu du ciel incomestible », référence incontournable des lycéens s’entraînant pour le baccalauréat, dans leurs dissertations de français…
[vi] Merci à Aldous HUXLEY… toujours bien vivant par-delà la Soma !
[vii] Merci encore à Aldous HUXLEY… toujours excellent dans la critique des Alpha +, ingérables avec les Alpha, les Beta et les autres…
[viii] Merci à Blaise PASCAL de MONS, être passionnant et déluré… avant sa maladie et sa "pseudo conversion plutôt forcée" par sa sœur, sous la menace des Enfers.
— Tu ne vois vraiment rien de bon parmi toutes les lois actuelles de la Cité ?
Yeph :
— Peut-être que chaque individu a son unicité qui le différencie de l'autre ?
Imposer la même manière de penser, de vivre… pour tous, est terriblement réducteur de notre humanité. La société devrait être à l'écoute du peuple et non l'inverse… mais le peuple n'a pas encore beaucoup évolué pour s'élever de son animalité !
Emma :
— Est-ce alors une régression ?
Oui ?
Autrefois…
L'amour filial, la famille… cela avait du sens, avant la Chalystime…
Qu’en penses-tu, Yeph ?
Érik :
— La première fratrie de l'humanité s’est achevée par une tragédie[i] !
Laurie :
— Sûrement… mais je suis d'accord avec Emma : l'humain a évolué…
Yeph :
— Oui et non !
Notre nature a en effet des bases animales violentes où la survie de l'espèce prime sur le plaisir et la paix. Aussi, la route s'avère encore longue pour espérer voir naître vraiment l'amour humain…
J'aime trop la liberté pour imposer quoi que ce soit à l'homme, au risque de le voir encore stagner dans son évolution.
Je ne partage donc toujours pas l’avis de Phil.
C’est peut-être un état apparent pour beaucoup, mais la greffe seconde ne saurait supprimer notre inconscient.
Il est à imaginer que tôt ou tard, des situations extrêmes ou exceptionnelles, pourraient réveiller des souvenirs très anciens.
Aussi, être en paix ne devrait pas devenir un but dans la vie de l'humain, mais cela serait un outil pour cheminer vers le plaisir de senser[ii] sa vie.
Cultiver la sagesse n’entraîne pas nécessairement la joie[iii].
Érik :
— Que veux-tu d’autre pour l'homme ? Nous lui offrons le bonheur d'exister en plénitude…
Yeph :
— Il en deviendra simplement béat !
Vous envisagez finalement de ne plus lui donner la possibilité de penser…
Emma :
— Ne plus penser, ne plus décider… ne plus être !
Érik :
— Si, mais toute pensée sera orientée vers le bien… et toute action vers l'utile.
Yeph :
— À quoi cela peut-il bien servir, “l'utile”, dans la vie d'un homme ?
Pour toi Archyeur, le plaisir est inutile ; le beau est inutile[iv], le rire est inutile.
Tu nous transformes en abeilles dans ta ruche à miel, persuadé de notre accord bienveillant.
Tu es, hélas, convaincu d’agir pour la bonne cause, puisque tu as reçu démocratiquement la gouvernance de la Cité !
Emma :
— Oui, pour sûr !
Des élections dites démocratiques, où les millions dépensés ont permis d'acheter les poignées de voix qui ont fait la différence… pour cette fois.
Yeph :
— Les moutons ont choisi leur nouveau berger… tu as peu de temps devant toi avant le prochain orage !
L’abeille au travail ne regarde pas le bleu du ciel incomestible ![v]
Semble-t-il…
A-t-elle encore un plaisir des sens, pour la beauté de l’amandier en fleurs à butiner ?
Rappelle-toi aussi qu’un peu moins de la moitié des membres du Haut Conseil avait préféré les idées du professeur Bruno, en refusant la Chalystime.
Laurie :
— Yeph a raison. Mais Bruno n’est plus et depuis, beaucoup ont rallié la cause d’Érik.
Peut-être davantage par peur que par conviction, d’ailleurs.
Oui, il y a les moutons… le monde au travail pour le bien de la Cité… mais je suis membre de l'Austrel.
La greffe seconde est certainement utile pour les inférieurs, mais pour nous, je doute très sincèrement de son intérêt.
Mon rêve, mon souhait, ma raison d'être, serait de porter un enfant, mon enfant…
Je suis une femme, j’aime Yeph et j’ai le désir d’être mère grâce à lui !
Pour le peuple, il est indispensable de réguler les naissances, mais pourquoi voulez-vous supprimer chez nous aussi cette dimension humaine ?
Érik :
— Laurie, tu fais partie des dernières dames à désirer cette folie !
La Cité vous donne aujourd’hui, grâce à la Machine, de beaux enfants sans défauts, sains de corps et d'âme.[vi]
Laurie :
— Peut-être, mais ils sont tous parfaits et asexués…
Érik :
— C'est merveilleux.
Yeph :
— Hélas, ils sont façonnés dans une pensée unique et stérile !
Laurie :
— Oui, Yeph a raison, ce sont de petits saints, des anges…
Emma :
— C'est insupportable !
Les commissions d'éthique réalisent finalement avec le Centre, la confection d'eunuques angéliques… de pauvres types utilitaires au bon fonctionnement de la Cité[vii].
Érik :
— Tous ne sont pas stériles, car nous avons encore besoin de gamètes.
Pour les autres, cela ne les prive pas d’une paix et d’une sérénité réelle : oui, ils sont paisibles et heureux !
Yeph :
— Non et non !
Mon pauvre Érik…
Ils sont peut-être dans une plénitude béate, mais pour être heureux il faut savoir ce qu'est le malheur et pouvoir choisir…
Lutter, apprendre, œuvrer par et pour soi-même.
Je suis contre l’instrumentalisation de l’homme par l’homme ! L’idée aristotélicienne du bien-fondé des esclaves est aussi insupportable que celle de la souffrance.
Érik :
— Non… connaître la souffrance, c'est déjà percevoir le mal.
Je supprimerai tout ce qui est nuisible à l’homme.
Yeph :
— Le feu brûle, le froid peut geler… tu resteras tiède toute ta pauvre vie, mon cher Érik, par peur de la souffrance ?
Laurie :
— Est-ce une faute, de porter un enfant ?
Emma :
— Pas une faute… mais cela n'entre plus selon les lois de la Cité dans les droits et la liberté de la femme…
Érik :
— C'est plus qu'une faute, Laurie : c'est désormais strictement interdit pour ton bien… sous peine d'être kryfluxirée.
Tu risquerais en effet de voir naître une progéniture avec des tares et tu mettrais surtout ta vie en danger.
Les statistiques sur tests génétiques montrent par probabilités — à partir d'échantillons représentatifs certifiés sur la base des quotas — une sécurité fiable à 87 % en gestation humaine, tant pour la santé de la mère que pour les anomalies ou les handicaps chez l'embryon.
Nous prônons le risque zéro.
Nous réalisons le risque zéro.
Nos centrales matricielles sont parfaites : aucun défaut !
Pour les 13 % de déchets issus de la matrice des mères porteuses, ils furent toujours une source de problèmes lors des rapports des comités d’éthique, quant à leur élimination…
Laurie :
— C'est horrible !
Érik :
— Tu vois : ta réaction est la preuve du danger réel présenté par une reproduction sauvage dans notre Cité.
Il n'est plus possible de laisser chaque individu user de ses pulsions. Notre équilibre serait gravement mis en branle.
Yeph :
— L'homme existe justement par ses sens.
J’aime vivre l’amour ; je suis toujours en quête de plaisir.
Laurie :
— Moi aussi !
Emma :
— Et moi donc…
Érik :
— Les greffes troisièmes suppriment enfin le dernier côté animal de l'homme. Il devient angélique.
Laurie :
— Nous ne sommes pas des animaux, soit, mais nous ne sommes pas des anges non plus !
Érik :
— Nous sommes appelés à être comme eux…
C’est le Paradis sur Terre qui s’annonce !
C’est merveilleux.
La Cité se suffit maintenant à elle-même, pour que nous tendions à devenir « purs esprits »… des anges !
Emma :
— Alors qu'eux-mêmes nous envient ce corps qu'ils n'ont pas ?
C’est un leurre.
Qui fait l'ange, fait la bête ![viii]
C'est une folie qui se transformera en tragédie !
Yeph :
— Folie en effet !
Notre corps est aussi notre raison d’être !
Laurie :
— Les machines n’ont pas d’âme !
Yeph :
— Laurie a peut-être raison pour les machines…
Quant à la négation de notre part biologique et animale, cela risque davantage de nous éloigner de la nature.
Notre monde fut stérilisé à outrance après la Chalystime et nous en subissons gravement l’onde de choc.
La Broth continue à s’étendre…
Les zones préservées sont rares et nous oublions encore que nous appartenons à la Terre… et non l’inverse !
Emma :
— Hélas.
La part angélique idéalisée par Érik cache aussi le drame de notre rupture avec la mère nature !
Yeph :
— L'homme est né pour exister en harmonie, cœur, âme et corps !
L’harmonie est à considérer pour soi-même, pour le même et pour l’autre…
Aller à la rencontre de l’autre se vit aussi par notre corps, avec la nature minérale, végétale et animale !
Non pas pour s'imaginer dominer « tout autre » que soi-même, ou devenir pur esprit. C’est une dispute de chaque instant : chercher une raison d'aimer, de vivre, au-delà de la routine sociétale.
[i] Merci au « Livre de la Genèse ». Oui, si le père divinisé n'avait pas préféré l'offrande sanglante d'Abel, le brave Caïn — cueilleur et laboureur — n'aurait pas été jaloux.
C’est dramatique d’en arriver à un fratricide !
[ii] Merci à Vincent CESPEDES, philosophe audacieux qui tente de faire entrer dans le dictionnaire quelques mots fort utiles pour "senser" nos idées.
[iii] Merci au Dalaï Lama, ce tyran au sourire béat… pour ses propos sirupeux de bonté, ses actions pour la paix dans le monde et ses temples dorés à l’or fin pendant que son peuple meurt de faim…
Oui, car la béatitude n'entraîne pas nécessairement le bonheur…
Lorsque l’on est pauvre paysan, pour espérer le meilleur pour l'après, il faut donner sa récolte aux bons moines qui prient sans avoir faim…
[iv] Merci à Antoine de SAINT-EXUPÉRY et à son allumeur de réverbères que j'ai retrouvé dans un des écrits d'Anatole FRANCE.
(…)« Ce que j’attendais que l’abbé M. nous apprenne ce soir, c’est s’il y a un allumeur de réverbères, là-haut, si quelqu’un se promène dans le fantastique décor céleste, allumant et éteignant les étoiles »(…) des « Dernières conversations avec Anatole France », par Nicolas SÉGUR.
[v] Merci à Anatole France… en souvenir du « petit chien de Monsieur Bergeret qui ne regardait jamais le bleu du ciel incomestible », référence incontournable des lycéens s’entraînant pour le baccalauréat, dans leurs dissertations de français…
[vi] Merci à Aldous HUXLEY… toujours bien vivant par-delà la Soma !
[vii] Merci encore à Aldous HUXLEY… toujours excellent dans la critique des Alpha +, ingérables avec les Alpha, les Beta et les autres…
[viii] Merci à Blaise PASCAL de MONS, être passionnant et déluré… avant sa maladie et sa "pseudo conversion plutôt forcée" par sa sœur, sous la menace des Enfers.
LE COMBAT DES ANGES
L’homme
Corps...
Ne suis-je qu’illusion de l’illusion d’un dieu ?
L’homme
Âme ?
Offrez-moi d’exister lorsque la mort s’annonce.
L’espace...
Le temps :
Le grand combat des anges ?
L’un donne vie
L’autre est la mort
L'un donne vie
L'autre est la mort
Tous deux s’offrent le monde à leur jeu sans mesure.
Ils savourent sans fin tour à tour la victoire :
Il faut que le grain meure
Pour que vive l’épi
Qui sera moissonné.
Pour que vive l’enfant
Qui vient naître de lui,
L’homme aussi doit mourir.
J’écris pour respirer
Et plus j’écris, je vis...
Et plus je vis,
Je meurs.
Mon cœur prend forme.
Le froid gagne mes sens et mon esprit s’éteint.
Corps...
Ne suis-je qu’illusion de l’illusion d’un dieu ?
L’homme
Âme ?
Offrez-moi d’exister lorsque la mort s’annonce.
L’espace...
Le temps :
Le grand combat des anges ?
L’un donne vie
L’autre est la mort
L'un donne vie
L'autre est la mort
Tous deux s’offrent le monde à leur jeu sans mesure.
Ils savourent sans fin tour à tour la victoire :
Il faut que le grain meure
Pour que vive l’épi
Qui sera moissonné.
Pour que vive l’enfant
Qui vient naître de lui,
L’homme aussi doit mourir.
J’écris pour respirer
Et plus j’écris, je vis...
Et plus je vis,
Je meurs.
Mon cœur prend forme.
Le froid gagne mes sens et mon esprit s’éteint.
Yeph :
— Avoir un corps sexué pour s'en servir est une chance, sans tout au moins vouloir s'enfermer dans le cycle animal de la survie de l'espèce.
Il est heureux d'aimer simplement. Deux êtres qui s'unissent physiquement s'élèvent, sans commune mesure avec tous les autres plaisirs.
L'orgasme est régénérant.
Érik :
— Ridicule et si dangereux !
Tes propos comme ta quête sont vulgaires et dépassés.
L'homme naît pour accéder à la perfection[i].
Aujourd’hui, nous pouvons la lui offrir, dès le premier instant de son existence.[ii]
Laurie :
— Et ce n'est plus un homme alors !
J'ai besoin d'amour… j'ai soif de vivre l'amour… en tant que femme !
Érik :
— Il est possible de bien vivre sans cela.
Avec la greffe seconde…
Yeph :
— …Cela suffit !
Emma :
— Oui…
La castration mentale est aussi un terrible handicap pour l'être humain.
Notre sexualité reste et restera une partie nécessaire de l'élaboration du moi.
Si vous la supprimez, c'est toute une étape essentielle de la connaissance qui est oubliée ou détruite.
Érik :
— La sexualité est la source de tous les maux… avec ses multiples perversions !
Dans la nature animale, celle-ci semble juste nécessaire à la reproduction.
Pour l’homme d’aujourd’hui, son épanouissement doit se construire hors de ce carcan bestial.
Nous savons être tout à fait heureux sans ces pulsions destructrices. Il nous reste encore à craindre les dernières exaltations et les souffrances inutiles des “moi” dont tu es probablement le dernier à revendiquer la cause.
Yeph :
— Il est désespérant de refuser le fait que l'homme ait un corps capable de plaisir.
Érik :
— Qu'est-ce que le plaisir ?
Nous ne refusons rien à l’homme, nous lui donnons tout le confort qu'il désire… nous l’aidons à évoluer sans soucis, libéré de ses pulsions animales que vous voulez à tout prix nommer "plaisir" ou "jouissance"…
Emma :
— Toi seul peux nier le plaisir de l'amour, vu le rejet que tu as pour ton corps !
La jouissance, tu peux la vivre dans la recherche de la douleur ou de la privation… le manque ?
Érik :
— Mon corps est utile, pour me permettre de communiquer.
Je l'accepte ainsi.
Il est le lien avec mon esprit.
Le plaisir, s'il englobe la chair, doit être spirituel.
Laurie :
— Je pense que l'amour est un plaisir extraordinaire !
Érik :
— Et dans l’instant qui suit cette jouissance fortuite, il y a déception, frustration, manque…
« Post coïtum, animal triste »… Emma le disait elle-même.
À quoi bon conserver ce plaisir si fragile dans l'état physique de l'homme, sinon pour le rendre malheureux ?
Yeph :
— Le plaisir nous permet de vivre de manière humaine.
La jouissance est souvent liée à un mal-être, issu de la frustration, et engendrant des destructions.
Je ne désespère pas de toi, Érik…
Je me souviens de ces jours anciens où tu ne considérais pas le corps comme sale et répugnant…
Ce corps existe pour porter le cœur et l'esprit dans une trinité singulière. L'homme est libre d'y faire évoluer ses cinq sens qui gèrent la capacité mémorielle de chacun d'entre nous dans ses trois états.
Érik :
— Merci de ne pas réécrire le passé, Yeph.
L'ordinateur n'a pas de corps. Il use de ses mémoires comme nous tous.
Yeph :
— Oui et non, Érik !
Le disque dur enregistre et conserve telles quelles les données. L'homme, lui, n'enregistre pas, il transforme, il digère et analyse ce qu'il reçoit. Le corps est entièrement présent et lié par le cœur à la compréhension de chaque fait perçu par l'esprit.
Notre mémoire est forte de sentiments, de pulsions, d’instinct de vie et de mort.
Érik :
— Tu as bien dit « mort », ce mot que le Grand Conseil tente de faire disparaître de notre vocabulaire. Tu reconnais donc ta grande fragilité à bien savoir saisir le corps comme handicap à l'esprit…
Yeph :
— Il est sa richesse !
Sans dispute entre le corps et l’esprit, il n’y a plus de vie, de place pour le cœur… de rencontre humaine, de création !
Laurie :
— Bien sûr.
C'est le corps révélé par le cœur qui donne la possibilité d'aimer, de sentir et de respirer.
Érik :
— Et cela nous conduit au final dans un état misérable !
Emma :
— Parce que tu n'as pas de cœur !
Yeph :
— C'est pour cela que la mort du corps semble aussi une réalité pour toi, alors que tu nies sa naissance, Érik !
Érik :
— Faut-il glorifier la chair, puisque sa déchéance nous attend ?
Je ne vois pas pourquoi il faudrait s'attacher à un passé réducteur des âges glorieux et insouciants.
Votre croyance en un cœur est dangereuse, pour l'équilibre de l'esprit avec le corps.
Yeph :
— L'équilibre est toxique, binaire… l'harmonie permet de grandir.
L'évolution du corps en bonne entente avec l'esprit grâce au cœur, nous offre tant d'espaces merveilleux pour apprendre et comprendre le sens de notre vie…
L'amour humain sense notre existence.
Aussi, sans filiation, qu'elle soit sanguine ou affective, saurions-nous saisir nos origines ?
Sans mémoire, nous sommes des fourmis.
Naître, grandir, vieillir, mourir… aimer… C'est vivre !
Pourquoi toi-même es-tu né ?
Laurie :
— Que dire du sein qui t'a porté ?
Érik :
— Je suis un des tous derniers-nés d'une embryonneuse.
La femme qui m'a permis de prendre naissance en donnant ses ovules pour être fécondés a fait son devoir.
Elle fut payée pour cela.
Devrais-je la remercier ?
Laurie :
— Tu n'as donc aucun sentiment pour elle ?
Tu n’as vraiment pas de cœur !
Érik :
— Ce serait un comble !
Donner la vie est un acte primordial pour la survie de notre race.
Une femme a respecté les lois de la Cité pour que je puisse naître.
Comprends-tu donc, petite dame, que la notion de cœur est un leurre dangereux inventé par Yeph ?
Qu'il y ait des enfants dans la Cité est vital.
Il est raisonnable de se sacrifier un peu.
D’ailleurs, aujourd'hui, Laurie, tu passeras à l'Œuwel. Et toi aussi, Emma. Il est temps de t'inscrire dans les registres.
Les femmes de l'Austrel y sont soumises depuis déjà trois cycles.
Nous prélèverons vos ovules.
J’étais venu vous prévenir de cela avant que notre discussion ne s'emballe à cause de Yeph.
Emma :
— La révolte gronde, cher Érik…
Yeph :
— C'est une chasse aux produits frais ?
Emma :
— Vive les poules pondeuses…
Érik :
— Vous savez qu'il y a très peu de non-stériles dans la Cité.
Yeph :
— Oui, c’est vrai.
D’ailleurs, je pense que lorsqu'une espèce ne peut plus se reproduire, c'est qu'elle a atteint le stade final de sa perfection.
Il faut — je pense — l'accepter puisque la nature est ainsi.
Laissons donc la place à d'autres espèces…
Érik :
— Non ! C'est une étape.
Certains produisent, d'autres travaillent.
Yeph :
— C'est vrai.
Tu me rappelles une triste réalité : petit à petit nous nous rapprochons sensiblement de la civilisation des abeilles.
Laurie :
— Y a-t-il une autre manière de sauver notre race ?
Yeph :
— Oui, la force du cœur !
Rechercher l'amour humain.
Pour le moment, n'aie pas peur pour ton avenir, Laurie : tu es féconde.
Tu es toujours “reine” en ces temps étranges…
Érik :
— Sois un peu moins sûr de toi Yeph.
Ne pervertis pas les êtres de la Cité par tes rêves chimériques.
Vouloir donner un cœur à des ouvrières ?
C’est absurde !
Aussi, n'empêche pas surtout pas Laurie et Emma de donner leurs ovules : tu serais alors déclaré hors-la-loi !
Je vous laisse.
Yeph, tu seras comme tout un chacun, greffé d'ici peu.
Ne t'éloigne pas du Centre !
[i] Merci à l’Église Cathare qui ne doit pas être considérée autrement qu'une secte manichéenne.
Oui, bien des fidèles et des parfaits ont été massacrés pour des raisons économiques et politiques au nom d'une autre religion pas plus épanouissante mais plus puissante : le royaume de France.
Cela ne doit pas pour autant en faire des gens « biens »…
[ii] Merci au film « Bienvenue à Gattaca », réalisé par Andrew NICCOL, où la science s'affirme comme toute puissante pour prédire l'avenir de l'homme.
— Avoir un corps sexué pour s'en servir est une chance, sans tout au moins vouloir s'enfermer dans le cycle animal de la survie de l'espèce.
Il est heureux d'aimer simplement. Deux êtres qui s'unissent physiquement s'élèvent, sans commune mesure avec tous les autres plaisirs.
L'orgasme est régénérant.
Érik :
— Ridicule et si dangereux !
Tes propos comme ta quête sont vulgaires et dépassés.
L'homme naît pour accéder à la perfection[i].
Aujourd’hui, nous pouvons la lui offrir, dès le premier instant de son existence.[ii]
Laurie :
— Et ce n'est plus un homme alors !
J'ai besoin d'amour… j'ai soif de vivre l'amour… en tant que femme !
Érik :
— Il est possible de bien vivre sans cela.
Avec la greffe seconde…
Yeph :
— …Cela suffit !
Emma :
— Oui…
La castration mentale est aussi un terrible handicap pour l'être humain.
Notre sexualité reste et restera une partie nécessaire de l'élaboration du moi.
Si vous la supprimez, c'est toute une étape essentielle de la connaissance qui est oubliée ou détruite.
Érik :
— La sexualité est la source de tous les maux… avec ses multiples perversions !
Dans la nature animale, celle-ci semble juste nécessaire à la reproduction.
Pour l’homme d’aujourd’hui, son épanouissement doit se construire hors de ce carcan bestial.
Nous savons être tout à fait heureux sans ces pulsions destructrices. Il nous reste encore à craindre les dernières exaltations et les souffrances inutiles des “moi” dont tu es probablement le dernier à revendiquer la cause.
Yeph :
— Il est désespérant de refuser le fait que l'homme ait un corps capable de plaisir.
Érik :
— Qu'est-ce que le plaisir ?
Nous ne refusons rien à l’homme, nous lui donnons tout le confort qu'il désire… nous l’aidons à évoluer sans soucis, libéré de ses pulsions animales que vous voulez à tout prix nommer "plaisir" ou "jouissance"…
Emma :
— Toi seul peux nier le plaisir de l'amour, vu le rejet que tu as pour ton corps !
La jouissance, tu peux la vivre dans la recherche de la douleur ou de la privation… le manque ?
Érik :
— Mon corps est utile, pour me permettre de communiquer.
Je l'accepte ainsi.
Il est le lien avec mon esprit.
Le plaisir, s'il englobe la chair, doit être spirituel.
Laurie :
— Je pense que l'amour est un plaisir extraordinaire !
Érik :
— Et dans l’instant qui suit cette jouissance fortuite, il y a déception, frustration, manque…
« Post coïtum, animal triste »… Emma le disait elle-même.
À quoi bon conserver ce plaisir si fragile dans l'état physique de l'homme, sinon pour le rendre malheureux ?
Yeph :
— Le plaisir nous permet de vivre de manière humaine.
La jouissance est souvent liée à un mal-être, issu de la frustration, et engendrant des destructions.
Je ne désespère pas de toi, Érik…
Je me souviens de ces jours anciens où tu ne considérais pas le corps comme sale et répugnant…
Ce corps existe pour porter le cœur et l'esprit dans une trinité singulière. L'homme est libre d'y faire évoluer ses cinq sens qui gèrent la capacité mémorielle de chacun d'entre nous dans ses trois états.
Érik :
— Merci de ne pas réécrire le passé, Yeph.
L'ordinateur n'a pas de corps. Il use de ses mémoires comme nous tous.
Yeph :
— Oui et non, Érik !
Le disque dur enregistre et conserve telles quelles les données. L'homme, lui, n'enregistre pas, il transforme, il digère et analyse ce qu'il reçoit. Le corps est entièrement présent et lié par le cœur à la compréhension de chaque fait perçu par l'esprit.
Notre mémoire est forte de sentiments, de pulsions, d’instinct de vie et de mort.
Érik :
— Tu as bien dit « mort », ce mot que le Grand Conseil tente de faire disparaître de notre vocabulaire. Tu reconnais donc ta grande fragilité à bien savoir saisir le corps comme handicap à l'esprit…
Yeph :
— Il est sa richesse !
Sans dispute entre le corps et l’esprit, il n’y a plus de vie, de place pour le cœur… de rencontre humaine, de création !
Laurie :
— Bien sûr.
C'est le corps révélé par le cœur qui donne la possibilité d'aimer, de sentir et de respirer.
Érik :
— Et cela nous conduit au final dans un état misérable !
Emma :
— Parce que tu n'as pas de cœur !
Yeph :
— C'est pour cela que la mort du corps semble aussi une réalité pour toi, alors que tu nies sa naissance, Érik !
Érik :
— Faut-il glorifier la chair, puisque sa déchéance nous attend ?
Je ne vois pas pourquoi il faudrait s'attacher à un passé réducteur des âges glorieux et insouciants.
Votre croyance en un cœur est dangereuse, pour l'équilibre de l'esprit avec le corps.
Yeph :
— L'équilibre est toxique, binaire… l'harmonie permet de grandir.
L'évolution du corps en bonne entente avec l'esprit grâce au cœur, nous offre tant d'espaces merveilleux pour apprendre et comprendre le sens de notre vie…
L'amour humain sense notre existence.
Aussi, sans filiation, qu'elle soit sanguine ou affective, saurions-nous saisir nos origines ?
Sans mémoire, nous sommes des fourmis.
Naître, grandir, vieillir, mourir… aimer… C'est vivre !
Pourquoi toi-même es-tu né ?
Laurie :
— Que dire du sein qui t'a porté ?
Érik :
— Je suis un des tous derniers-nés d'une embryonneuse.
La femme qui m'a permis de prendre naissance en donnant ses ovules pour être fécondés a fait son devoir.
Elle fut payée pour cela.
Devrais-je la remercier ?
Laurie :
— Tu n'as donc aucun sentiment pour elle ?
Tu n’as vraiment pas de cœur !
Érik :
— Ce serait un comble !
Donner la vie est un acte primordial pour la survie de notre race.
Une femme a respecté les lois de la Cité pour que je puisse naître.
Comprends-tu donc, petite dame, que la notion de cœur est un leurre dangereux inventé par Yeph ?
Qu'il y ait des enfants dans la Cité est vital.
Il est raisonnable de se sacrifier un peu.
D’ailleurs, aujourd'hui, Laurie, tu passeras à l'Œuwel. Et toi aussi, Emma. Il est temps de t'inscrire dans les registres.
Les femmes de l'Austrel y sont soumises depuis déjà trois cycles.
Nous prélèverons vos ovules.
J’étais venu vous prévenir de cela avant que notre discussion ne s'emballe à cause de Yeph.
Emma :
— La révolte gronde, cher Érik…
Yeph :
— C'est une chasse aux produits frais ?
Emma :
— Vive les poules pondeuses…
Érik :
— Vous savez qu'il y a très peu de non-stériles dans la Cité.
Yeph :
— Oui, c’est vrai.
D’ailleurs, je pense que lorsqu'une espèce ne peut plus se reproduire, c'est qu'elle a atteint le stade final de sa perfection.
Il faut — je pense — l'accepter puisque la nature est ainsi.
Laissons donc la place à d'autres espèces…
Érik :
— Non ! C'est une étape.
Certains produisent, d'autres travaillent.
Yeph :
— C'est vrai.
Tu me rappelles une triste réalité : petit à petit nous nous rapprochons sensiblement de la civilisation des abeilles.
Laurie :
— Y a-t-il une autre manière de sauver notre race ?
Yeph :
— Oui, la force du cœur !
Rechercher l'amour humain.
Pour le moment, n'aie pas peur pour ton avenir, Laurie : tu es féconde.
Tu es toujours “reine” en ces temps étranges…
Érik :
— Sois un peu moins sûr de toi Yeph.
Ne pervertis pas les êtres de la Cité par tes rêves chimériques.
Vouloir donner un cœur à des ouvrières ?
C’est absurde !
Aussi, n'empêche pas surtout pas Laurie et Emma de donner leurs ovules : tu serais alors déclaré hors-la-loi !
Je vous laisse.
Yeph, tu seras comme tout un chacun, greffé d'ici peu.
Ne t'éloigne pas du Centre !
[i] Merci à l’Église Cathare qui ne doit pas être considérée autrement qu'une secte manichéenne.
Oui, bien des fidèles et des parfaits ont été massacrés pour des raisons économiques et politiques au nom d'une autre religion pas plus épanouissante mais plus puissante : le royaume de France.
Cela ne doit pas pour autant en faire des gens « biens »…
[ii] Merci au film « Bienvenue à Gattaca », réalisé par Andrew NICCOL, où la science s'affirme comme toute puissante pour prédire l'avenir de l'homme.
[Érik se téléporte.]
Emma :
— Je vais le suivre discrètement…
— Je vais le suivre discrètement…
[Emma se téléporte.]
Laurie :
— Enfin seuls !
Ah, Yeph, j’ai envie de te faire l’amour !
Donne-moi ta semence pour que je puisse porter mon enfant…
Yeph :
— Chère Laurie, certainement nous pourrions nous donner du plaisir, et même jouir ensemble, mais pourquoi vouloir maintenant associer ton désir d’orgasme à celui de la procréation ?
Laurie :
— Parce que ce fut depuis toujours la loi des hommes, jusqu’à la Chalystime.
Aujourd’hui on nous l’interdit, mais mon corps me le dicte.
Yeph :
— Que te demande-t-il ?
Laurie :
— De sentir ton sexe pénétrer dans mon propre sexe…
Yeph :
— Et que vient faire dans cet acte plaisant, la quête de porter un enfant ?
Je ne souhaite surtout pas actuellement être géniteur et je ne saurais être père, n’ayant aucune soif d’autorité.
De plus, si tu étais enceinte, le risque serais que tu sois aussitôt kryfluxirée par le Centre.
Laurie :
— Non… je me cacherais… bien entendu.
Mais toi, comment oses-tu, avec l’amour que je t’offre, me refuser la paternité d’un enfant ?
Tu es monstrueux !
Yeph :
— Pourquoi ce mot ?
J'aime l'amour…
Un enfant… c’est merveilleux.
Être un papa, cela doit être une mission extraordinaire ; cependant, c’est interdit dans la Cité…
Pour ce qui est d’être géniteur, crois moi, cela demande réflexion.
J’ai la liberté de vivre dans mon propre corps, puisque je ne suis pas encore greffé ; maintenant, donner naissance est un acte que je juge responsable. Il m’appartient donc de le vivre avec qui bon me semblera, lorsque je considérerai le moment venu.
Laurie :
— Tu ne m’aimes plus…
Yeph :
— Ai-je dit cela ?
Ce n’est pas mon refus temporaire de paternité qui s’opposerait à notre plaisir !
Puisque tu me proposes de vivre l'amour si gentiment… Il me semble fort peu respectueux de te le refuser.
Oui, je t’aime Laurie.
Laurie :
— Alors, pourquoi ne souhaites-tu pas te reproduire avec moi ?
La nature humaine est ainsi faite.
Ton refus exprime la négation de ta raison d’être un homme, et le rejet de mon amour !
Yeph :
— Oui et non !
Cependant tu as vu juste dans mes pensées.
Je ne sais vraiment pas qui je suis dans ce monde étrange.
J’ai l’impression, d’ailleurs, de m’en exclure petit à petit.
J’accueille ta démarche, ta supplique et la réalité de tes besoins. Cependant tu mets plutôt en exergue — par tes envies — la nature animale de l’être…
Laurie :
— Tais-toi !
Tu parles finalement comme Phil et Érik.
Comment oses-tu…
Yeph :
— Te traiter d’animal ?
Laurie :
— Tu es un monstre !
Yeph :
— Encore ?
S’il-te-plaît, écoute ma défense : l’homme est pour le moment en tête, semble-t-il, des jeux de l’évolution des espèces. Aussi, son principe unique reste-t-il la survie de la race, et par la guerre, il défend sa couronne.
Être géniteur aujourd’hui, c’est peut-être risquer le malheur d’un enfant dans cette Cité castratrice où la paternité n'a plus sa place !
Laurie :
— Mais l’amour ?
Yeph :
— Ah, voilà une sensible nouveauté pour l’humain.
Je ne nie pas cette dimension désirable. Au contraire, c'est ma quête !
Laurie :
— Pourtant, tu rejettes l’idée de donner naissance ; c’est donc renier l’homme que tu prétends être.
Yeph :
— C’est peut-être vrai aussi.
Mais suis-je déjà humain ?
Pour moi, la vie serait le cheminement raisonnable d’une réalisation, de son commencement jusqu’à son achèvement.
Il y a un espace et un temps pour chaque œuvre, Laurie…
Je ne crois vraiment pas être capable d’assumer une paternité aujourd’hui.
— Enfin seuls !
Ah, Yeph, j’ai envie de te faire l’amour !
Donne-moi ta semence pour que je puisse porter mon enfant…
Yeph :
— Chère Laurie, certainement nous pourrions nous donner du plaisir, et même jouir ensemble, mais pourquoi vouloir maintenant associer ton désir d’orgasme à celui de la procréation ?
Laurie :
— Parce que ce fut depuis toujours la loi des hommes, jusqu’à la Chalystime.
Aujourd’hui on nous l’interdit, mais mon corps me le dicte.
Yeph :
— Que te demande-t-il ?
Laurie :
— De sentir ton sexe pénétrer dans mon propre sexe…
Yeph :
— Et que vient faire dans cet acte plaisant, la quête de porter un enfant ?
Je ne souhaite surtout pas actuellement être géniteur et je ne saurais être père, n’ayant aucune soif d’autorité.
De plus, si tu étais enceinte, le risque serais que tu sois aussitôt kryfluxirée par le Centre.
Laurie :
— Non… je me cacherais… bien entendu.
Mais toi, comment oses-tu, avec l’amour que je t’offre, me refuser la paternité d’un enfant ?
Tu es monstrueux !
Yeph :
— Pourquoi ce mot ?
J'aime l'amour…
Un enfant… c’est merveilleux.
Être un papa, cela doit être une mission extraordinaire ; cependant, c’est interdit dans la Cité…
Pour ce qui est d’être géniteur, crois moi, cela demande réflexion.
J’ai la liberté de vivre dans mon propre corps, puisque je ne suis pas encore greffé ; maintenant, donner naissance est un acte que je juge responsable. Il m’appartient donc de le vivre avec qui bon me semblera, lorsque je considérerai le moment venu.
Laurie :
— Tu ne m’aimes plus…
Yeph :
— Ai-je dit cela ?
Ce n’est pas mon refus temporaire de paternité qui s’opposerait à notre plaisir !
Puisque tu me proposes de vivre l'amour si gentiment… Il me semble fort peu respectueux de te le refuser.
Oui, je t’aime Laurie.
Laurie :
— Alors, pourquoi ne souhaites-tu pas te reproduire avec moi ?
La nature humaine est ainsi faite.
Ton refus exprime la négation de ta raison d’être un homme, et le rejet de mon amour !
Yeph :
— Oui et non !
Cependant tu as vu juste dans mes pensées.
Je ne sais vraiment pas qui je suis dans ce monde étrange.
J’ai l’impression, d’ailleurs, de m’en exclure petit à petit.
J’accueille ta démarche, ta supplique et la réalité de tes besoins. Cependant tu mets plutôt en exergue — par tes envies — la nature animale de l’être…
Laurie :
— Tais-toi !
Tu parles finalement comme Phil et Érik.
Comment oses-tu…
Yeph :
— Te traiter d’animal ?
Laurie :
— Tu es un monstre !
Yeph :
— Encore ?
S’il-te-plaît, écoute ma défense : l’homme est pour le moment en tête, semble-t-il, des jeux de l’évolution des espèces. Aussi, son principe unique reste-t-il la survie de la race, et par la guerre, il défend sa couronne.
Être géniteur aujourd’hui, c’est peut-être risquer le malheur d’un enfant dans cette Cité castratrice où la paternité n'a plus sa place !
Laurie :
— Mais l’amour ?
Yeph :
— Ah, voilà une sensible nouveauté pour l’humain.
Je ne nie pas cette dimension désirable. Au contraire, c'est ma quête !
Laurie :
— Pourtant, tu rejettes l’idée de donner naissance ; c’est donc renier l’homme que tu prétends être.
Yeph :
— C’est peut-être vrai aussi.
Mais suis-je déjà humain ?
Pour moi, la vie serait le cheminement raisonnable d’une réalisation, de son commencement jusqu’à son achèvement.
Il y a un espace et un temps pour chaque œuvre, Laurie…
Je ne crois vraiment pas être capable d’assumer une paternité aujourd’hui.
[Tomas apparaît.]
Tomas :
— Moi non plus !
Si je te vois plutôt bien jouer au papa…
Être père… surtout pas…
Et j’abonde à cette idée pour ma personne aussi.
Pour expliciter le refus de Yeph et comprendre son état, je te propose, ma chère Laurie, de comparer la fin probable de l’homme sur cette petite planète, à la disparition des dinosaures.
Laurie :
— Tomas, qu’est-ce que tu oses prétendre ?
Ces monstres ne sont plus parmi nous depuis des millions d’années, en raison de multiples dérèglements climatiques et de météorites apocalyptiques !
Tomas :
— Et pourquoi ne pas imaginer cette absence, d'une manière moins extraordinaire, moins extravagante ?
Oui, si nous estimions qu’ils avaient simplement achevé leur cycle ?
Un élégant parcours qui se serait terminé par une stérilité naturelle ou désirée.
Yeph :
— Souhaitée même, peut-être ?
Tomas :
— Oui, si l’espace vital a changé, si les conditions ne sont plus réunies pour une vie acceptable, je pense qu’une espèce — dans un processus instinctif — est capable de refuser de se reproduire afin de ne pas voir souffrir sa progéniture.
Lorsqu’il n’y a plus de reproduction, il y a disparition.
Yeph :
— J'aime le fait que tu prêtes beaucoup de conscience à nos amis les dinosaures…
Laurie :
— Quelle horreur !
Mais quelle horreur…
Alors tu serais capable de refuser de donner naissance, dans le dessein de provoquer la fin de la vie humaine ?
Tomas :
— Hum… peut-être que oui ?
Pas tout à fait consciemment… en fait.
J’estime adéquat — pour le moment — que cela suffit !
Yeph :
— Il pourrait aussi y avoir la mise en place sensible de processus de modifications, d'adaptations, qui annonceraient de multiples mutations.
Beaucoup d'entre nous sont plus différents que tu ne peux un instant l'imaginer…
Dans la nature, une espèce sait donner naissance à d'autres espèces…
Cela fait des millénaires que l'humain est en perpétuelle évolution.
Les sociétés sont attentives à freiner et à briser les changements trop radicaux ; cependant, si les variations du corps sont délicates à dissimuler, celles de l'esprit et du cœur peuvent encore être protégées des démonolâtres[i] ou autres garants de la sainte doctrine du jour.
Face à la violence des pouvoirs, certains, souffrant trop, préfèrent disparaître avec leurs secrets, comme d'autres refusent toute participation intime et personnelle au système.
Laurie :
— Quel absurdité !
Nous sommes depuis si longtemps au sommet de la pyramide ! La seule espèce qui pourrait tenter de nous dépasser reste mécanique, ou devrait en user… mais l’homme est seul, le maître des machines…
Alors, quel sens donner à cette démarche suicidaire ?
Yeph :
— Ce n'est pas un acte destructeur, il faut y voir plutôt le constat d’une impasse de l’humain dans la volonté de se trouver un jour au meilleur de lui-même.
Se perdre dans le cosmos… cela n’a rien du suicide… Il s’agit de renoncer à ce que nous appelions autrefois les tentations du monde : l’avoir, le savoir, et le pouvoir.
Pour certains faibles, cela s’apparenterait à de la sagesse.
Pour éviter l’auto-destruction, nous devons tenter de saisir en nous l’espace d’une “mutation” ou d’une “adaptation” qui rendrait honnête la poursuite de la race !
Qu’avons-nous à perdre ?
Tomas :
— C’est vrai.
Mais qu’avons-nous à gagner ?
Pourquoi prolonger encore et encore la chaîne généalogique au point où nous sommes rendus ?
Il y a eu trop souvent stagnation et régression.
L’humain n’est pas actuellement dans une spirale d’évolution positive.
Yeph a bien raison aujourd’hui de préférer laisser la place à quelques amibes, futures créatures évoluées de demain.
Laurie :
— Quel orgueil, quelle démesure dans cet hymne à la fatalité !
Comment peux-tu, Yeph, te sentir aussi supérieur, au point de jouer le rôle des dieux destructeurs ?
Tu es à la fois Moros et Thanatos !
Tomas :
— Yeph ? Moratos ?
Ah ah !
En vieux latin, avec un mélange des propositions de Laurie, cela ferait de toi le dieu des mœurs !
Excellent ?
Non, chère Laurie !
Les dieux deviennent vivants et immortels pour les hommes, une fois leur mort annoncée et la légende établie.
Patiente encore un peu avant de créer un mythe sur son histoire : Yeph est toujours en vie !
Yeph :
— Je m’inquiète parfois, Tomas, de te voir attendre et même désirer ce jour où je ne serai plus !
Par simple curiosité ?
Cependant, face à l’idée de notre propre mort, est-ce de l’orgueil, Laurie, que de se sentir en paix ? La véritable peur de l’homme n’est peut-être pas dans la connaissance de sa mortalité… mais de sa finitude !
Le sens de la vie rime si souvent avec le mot « ennuie »… Aussi a-t-il besoin de donner la vie à tout prix afin de se poursuivre, et de la prendre à d’autres.
Ai-je le droit à la différence ?
Puis-je accueillir simplement ma mortalité comme une réalité future, de rejoindre l’harmonie de l’univers, et vivre alors pleinement mon existence terrestre sans penser… sans m’inquiéter d’un demain ?
Laurie :
— Quel égoïsme terrifiant !
Tu es mon seul espoir d’un monde meilleur !
C’est horrible…
Pourquoi donc te poser en obstacle ?
Tu oses me dire non !
Tomas :
— Là, peut-être, est l’orgueil ?
Depuis si longtemps, l’homme estime être l’élément clef pour un autre jour ; pour le Grand Jour… où enfin naîtra son paradis.
Yeph :
— Pour ma part, la raison d’être semble dans cette quête de l’instant, le plaisir du moment sublime qui m’est donné dans une rencontre, une étreinte…
Mais je ne pense pas que la jouissance nous ouvre au bonheur…
Tu me propose de faire l’amour, Laurie, sans le vivre…
Vivre l’amour est un plaisir davantage harmonieux.
La reproduction nous relie à notre part animale, où le plaisir n’est pas nécessaire à la rencontre des corps.
Tomas :
— Dois-je vous laisser ?
Ou…
Laurie :
— Je commence à comprendre ton petit jeu malsain, Yeph.
Tu caches, par ce mépris de la naissance, ton impuissance, ta stérilité évidente.
Tu n’es finalement rien d’autre qu’un pauvre mâle qui attend que je le butine…
Ce n’est guère élégant de ta part et j’éprouve en fait un réel dégoût pour toi.
Tu es donc comme Tomas, Franch et les autres : minable et misérable.
Comment ai-je pu te désirer ?
Pourquoi ai-je été ainsi trompée ?
Tomas :
— Merveilleux retournement de situation, ma chère Laurie.
De dieu potentiel, le voici devenu gueux, bien loin des anges les plus mesquins, les plus jaloux de la fécondité de la femme.
J’adore !
Soit, tu as raison.
Pour ta logique de reine dans une ruche à miel, le bourdon qui se refuse à l’accouplement est raisonnablement impropre à donner naissance. Pourtant, ce jeu des solutions simplistes oublie la source même de notre désir.
Tu présentes les hommes comme de simples organes reproducteurs, élevés par des reines soucieuses de les préparer sainement au travail glorieux.
La femme peut-elle imaginer être elle-même au-delà de son rang sacré : une super-matrice, née pour œuvrer dans la ruche à la place qui lui est due ?
Peux-tu tout simplement devenir une créatrice, en te libérant de cette obsession procréatrice ?
Yeph :
— Hélas.
Le mâle — par son état réducteur de réserve potentielle de gamètes — est votre réalité inconsciente, dans l'inquiétude d'un grand manque[ii].
Peut-être sommes-nous capables, maintenant ou demain, de donner naissance à d’autres énergies créatrices ?
Voilà ce qui me construit depuis si longtemps !
Laurie :
— Écoutez, par votre démarche intellectuelle, vous niez l’homme et la femme qui se sont sacrifiés pour que vous soyez vivants aujourd’hui.
C’est lâche.
N’y a-t-il donc aucun respect pour les anciens ?
Quoi que tu en penses, Yeph, tu détruis tout ce qui semble donner à l’être humain sa beauté, son sens de la famille et du devoir.
Nous avons pour mission première, de témoigner notre gratitude pour celles et ceux qui nous ont précédés, afin de réaliser l’avenir !
Tu es vraiment un égoïste, sans cœur.
Tomas :
— J’aime ta capacité à déplacer le sujet de notre démonstration.
Si tu ne peux pas nous condamner directement, il te faut rechercher des liens plus délicats, comme la mémoire de la famille.
Yeph :
— Permets-moi Laurie — tout d’abord — de réveiller ma faiblesse de mâle : revenir alors sur une de tes attaques concernant mon auguste organe : à mon grand plaisir personnel, la jolie bête se porte bien.
Pour le plaisir relationnel aussi…
L'aurais-tu déjà oublié ?
J'aime en effet — c’est une joie que je ne souhaite pas perdre — donner à mon corps sexué du plaisir, et en recevoir, quand j’en ai la chance, avec les êtres qui me sont chers… n’en déplaise à l’éthique du Centre.
Tomas :
— Ah, ah !
Yeph :
— Oui.
Quant à savoir si ma semence est toujours fertile ou non, j’ai encore jusqu’au dernier jour de mon existence pour songer à poursuivre ou non ma descendance.
De plus, si j’étais devenu stérile, j’aurais certainement été kryfluxiré lors de la Chalystime, ou mieux : désigné d’office à une greffe troisième, pour œuvrer aux basses tâches de la ruche.
Laurie :
— Tu détestes donc bien la femme que je suis…
Yeph :
— Je n’ai aucun mépris pour les reines.
Tu sais très bien aussi que je t’ai toujours aimée.
Cependant, ma quête actuelle est de rechercher les rares êtres libérés de cette obligation de fertilisation.
Sais-tu ?
L’amour est enfant de bohême[iii]…
J’espère aussi découvrir les dernières femmes créatrices, à la suite d'Emma, préférant le jaillissement d’un livre à la nécessité de se reconnaître en simple matrice[iv]…
Laurie :
— Il n’y a donc rien de sacré en toi ?
La société doit se reconstruire et tu la rejettes !
Tu as aussi le droit d’aimer un enfant !
Tu ressembles donc bien à Phil et Érik.
Tu me rejettes dans ce qui saurait me construire.
Tu es finalement dans une minable stérilité mentale !
Yeph :
— Oui et non, Laurie…
Pas tout à fait !
Érik, Phil comme la majorité des membres du Haut Conseil, sont fort honnêtes avec leurs idées : ils veulent uniquement imposer le bonheur aux membres de la Cité. C’est, dans leur esprit, la solution finale de tous nos soucis.
Il n’y a donc pas beaucoup de possibilités quant à les convaincre d’agir autrement.
De plus, n’ayant pas de conception d’un “après” meilleur, mes arguments seraient bien faibles face à leurs certitudes !
Je n'ai ni la croyance ni l'intuition d'un paradis futur ou d'une réincarnation supérieure.
Moi, je souhaite laisser l’humain libre de se chercher, de s'apprendre, de se comprendre parfois et de se découvrir peut-être un jour… de son vivant.
C’est fort peu ambitieux face à leur projet universel qui se conçoit d'éternité !
Tomas :
— Oui, tu ne proposes finalement rien… En t’écoutant, il n’y a pas d’intérêt réel à t'accompagner sur ta route de vie !
Tu te comportes en très très mauvais gourou, Yeph !
Ah, ah !
Yeph :
— Ah oui, cher Tomas !
Si je trouvais à vous enseigner un rêve de paradis, une mission sur Sirius, le nirvana… ou même la menace d’un enfer, vous seriez en effet nombreux à me suivre, mais je perdrais ma liberté[v].
Laurie :
— …Et finalement, en nous refusant le droit d'être sous ta protection, tu seras donc seul !
Yeph :
— Je suis né seul, je vis seul et je mourrai seul.
C’est notre lot à tous, chère Laurie. J'en ai juste pris conscience.
Malgré la présence à mes côtés d’êtres aimants, je crains que personne ne puisse comprendre qui je suis.
L’autre est un mystère que je ne sais pas non plus atteindre.
Je cherche alors, dans ce monde étrange, à harmoniser mon corps, mon cœur et mon âme. Ma quête est d'apprendre, sans nécessairement comprendre.
Enfin… pour expliquer encore mon refus, j'ajoute à tous ces dires, même si ma capacité physique à reproduire n’est pas vraisemblablement remise en doute à ce jour — ce qui fait de moi un être hors des normalités — c’est aussi mon “non-désir” aujourd’hui, de donner naissance.
Tomas :
— Les temps actuels ne s’y prêtent pas.
Tu devrais pourtant le comprendre, Laurie.
Avec Yeph, nous aspirons simplement à rencontrer des êtres capables de croire au bonheur de l'instant, nécessité première pour être heureux.[vi]
Nous croyons qu’il existe en nous l’âme de bâtisseurs d’un monde plus évolué où la notion de respect du beau et de l’amour prendrait force sur l’idée de ruche sociale.
Nous avons foi aussi en l’idée de famille, sans exclusivité parentale ou conjugale, au plaisir d'aimer sans être emprisonnés par l'encouplement[vii].
Laurie :
— Vous exprimez habilement cela, et cependant, par votre attitude, vous niez réellement le géniteur et la mère qui vous ont donné naissance !
Ce sont vos idées qui ont conduit les femmes vers les interdictions d’Érik et de Phil.
Nous ne sommes plus libres d’enfanter par nous-mêmes à cause de vous.
Je refuse de me soumettre à la Machine !
Tomas :
— Oh, tu as certainement raison pour la Machine, cependant pour nos idées, elles prônent plutôt la liberté de la femme et de l'homme dans leur choix.
Ne nous accuse pas de tous tes maux. Ceux qui regardent sans réagir sont parfois aussi coupables que les autres…
Nous tentons de trouver d’autres solutions, sans certitudes aucunes, surtout pas celle d’avoir l’unanimité avec nous.
Aussi, le fait de mettre les géniteurs à une place plus saine et plus raisonnable : être procréateur, c’est se comporter comme une branche intermédiaire d’un gigantesque arbre généalogique.
Laurie :
— Ai-je seulement demandé le mariage, cette institution devenue obligatoire, sans droit à l’amour ?
Non, moi aussi je suis pour la liberté !
Alors, qu’est-ce qui vous empêcherait vous, les hommes, de donner ici et là, au gré de l’amour et du bonheur de la rencontre et du partage, la satisfaction à la mère qui désire enfanter de celui qu’elle aime ?
Pourquoi refuser une paternité ?
En rejetant le cycle de la vie, vous niez vos ancêtres !
Sans eux, reconnaissez donc que vous n’êtes rien !
Tomas :
— Soit, au sens aristotélicien.
Pourtant, les gamètes qui furent utilisés pour nous façonner sont aussi à comprendre comme la dernière étape physique de notre création. Ils se trouvent être les ultimes modifications des gènes précédents, construits par des milliards de connections incalculables au-delà d’une soixantaine de générations.
Yeph :
— Je puis donc alors imaginer exister assez semblablement — vraisemblablement — par une autre branche d’un grand-père ou d’une arrière-grand-mère… Et je suis aussi convaincu de descendre peut-être plus de certains fruits que de toutes ces branches pourtant évidentes !
Laurie :
— Alors vous oseriez scier la branche qui vous porte ?
Tomas :
— L’image est riante.
Tu me tentes !
Yeph :
— Ma mère et mon père ne m'ont donné qu'une moitié des gènes de leurs ancêtres et leurs frères et sœurs possèdent des entités de mémoires génétiques qui sauraient se transmettre notamment par la parole, mais aussi par le ressenti et l'amour.
Tomas :
— Nous te parlons donc de géniteurs, pas d’un amour maternel ou paternel, inconnu dans une ruche comme la nôtre !
Yeph :
— Sache que par mes propos, je ne rejette pas la notion de père ou de mère, mais je relativise la dimension du sacré attribuée à la filiation.
J’ai davantage d’admiration pour l’amour donné, l’amour reçu et l’éducation transmise !
Tu sais aussi que je ne me partage pas…
Avec cette approche de la vie, lorsque l’on ne peut pas toujours réussir à s’identifier à la génération précédente — s’il y a eu massacre ou absence, faiblesse ou incapacité, défaillance ou simple déficience — le regard des liens plus lointains permet parfois de mieux se comprendre et de se trouver.
Tomas :
— Nous ne sommes pas seulement les enfants d’une matrice fécondée.
Laurie :
— Mais regardez-vous tous les deux : vous êtes si différents et vous jouez à partager les mêmes idées.
Mon pauvre Tomas, tu n’es bien que le pantin de Yeph !
Tomas :
— Si à tes yeux notre gémellité a perdu de son sens depuis la Chalystime, sache que je garde au plus profond de mon être la place que Yeph a eu dans le corps de la femme qui nous a portés.
Nous sommes issus d’un même ovule, fécondé et dédoublé naturellement. Cependant l'un des embryons fut développé à une époque plus récente… pour moi.
Même si — en raison des lois nouvelles sur la famille — le Centre refuse nos origines, ma mémoire génétique semble être intacte bien au-delà de notre naissance.
Laurie :
— C’est absurde !
Tomas :
— Pas forcément.
Autrefois, un petit peuple se différenciait des autres par la transmission d’un savoir et de rituels, ancrés jusque dans leur propre chair meurtrie.
Il était souvent détesté et menacé d'extermination car cette racine filiative lui donnait une énergie de conquête et une force de survie supérieure[viii].
Yeph :
— À l’aide d’une mémoire imposée par des maîtres, ils reliaient habilement leur histoire à cette idée d'un « premier homme » et s’étaient désignés « Peuple Élu », rejetant les autres dans une obscure bâtardise : des êtres nés sans origines, ou bien des descendants de criminels rejetant la loi d’un dieu refusant le primat de la force.
Tomas :
— Yeph et moi, nous savons d’où nous venons. C’est notre force d’amour.
Personne ne pourra donc nous séparer.
Laurie :
— Eh bien, qu’attend ton Yeph, pour continuer la lignée de votre race supérieure ?
Yeph :
— Qu’une ère meilleure se présente !
Tomas :
— Nous ne sommes pas supérieurs : nous sommes différents !
La Terre est ronde, nous prenons de la hauteur… en étant à côté du monde…
Nous sommes des individus hors normalités. C’est une raison singulière de notre incapacité à nous adapter aux règles de la ruche.
Laurie :
— Parle pour toi…
Cette pauvre excuse ne fait que dissimuler une lâcheté odieuse…
Je n’ai même plus envie de faire l’amour avec toi, Yeph.
Reste avec ton drôle de jumeau, puisqu’il semble bien compter plus que moi !
Il ne m'intéresse pas…
Tomas a l’air tout aussi obstiné que toi quant au refus du don de l’enfantement !
Yeph :
— Je te désire encore, Laurie !
Laurie :
— Ah oui ?
Moi non !
Et je ne suis pas loin de te détester.
Tu me paieras tes refus !
Yeph :
— On commence par adorer, on abhorre ensuite, pour parfois apprendre enfin à aimer…
Eh bien, Laurie…
Suis-je libre ?
Si tu éprouves à nouveau un quelconque désir pour moi, tu sais comment me joindre.
Cependant, je ne sais ce que demain sera quant à mes sentiments ou mes pulsions…
Je crains que nous ne nous perdions, hélas !
[i] Merci à mon ancêtre Nicolas RÉMY, grand démonolâtre, qui a été anobli pour son expertise de qualité dans la chasse aux sorcières. Il revendique personnellement à son actif, quelque 900 bûchers salvateurs.
[ii] Merci à Christian GODARD et à Julio RIBERA, habiles dessinateur et scénariste de cette bande dessinée érotique où les hommes viennent à manquer dans un monde gouverné par une papesse.
[iii] Merci à l’opéra CARMEN pour nous avoir révélé l’incroyable caractère de sa chère héroïne gitane, délicieusement provocatrice.
Elle nous clame l’amour, comme enfant de Bohème, dans la célèbre habanera récupérée du « petit arrangement » composé par Sébastian IRADIER et transformé avec talent par Georges BIZET.
[iv] Merci encore à Marguerite Yourcenar, femme audacieuse qui aimait les livres et les femmes qui aiment les livres.
[v] Merci à Georg Wilhelm HEGEL. Il assure, avec sa dialectique du maître et de l'esclave… reprise à l’œuvre de « La République » de PLATON alors que les copistes l’ont souvent transformée en système politique.
[vi] Merci à Léon Tolstoï, qui était convaincu que pour être heureux, il fallait croire au bonheur… mais avec sa chère épouse, y croyait-il ?
[vii] Merci encore à Vincent CESPEDES pour ce mot utile afin de mieux « senser » nos propos.
[viii] Merci aux 12 tribus d’Israël… et surtout aux deux survivantes pour cette mémoire du passé qui leur donne une grande volonté de réussite !
— Moi non plus !
Si je te vois plutôt bien jouer au papa…
Être père… surtout pas…
Et j’abonde à cette idée pour ma personne aussi.
Pour expliciter le refus de Yeph et comprendre son état, je te propose, ma chère Laurie, de comparer la fin probable de l’homme sur cette petite planète, à la disparition des dinosaures.
Laurie :
— Tomas, qu’est-ce que tu oses prétendre ?
Ces monstres ne sont plus parmi nous depuis des millions d’années, en raison de multiples dérèglements climatiques et de météorites apocalyptiques !
Tomas :
— Et pourquoi ne pas imaginer cette absence, d'une manière moins extraordinaire, moins extravagante ?
Oui, si nous estimions qu’ils avaient simplement achevé leur cycle ?
Un élégant parcours qui se serait terminé par une stérilité naturelle ou désirée.
Yeph :
— Souhaitée même, peut-être ?
Tomas :
— Oui, si l’espace vital a changé, si les conditions ne sont plus réunies pour une vie acceptable, je pense qu’une espèce — dans un processus instinctif — est capable de refuser de se reproduire afin de ne pas voir souffrir sa progéniture.
Lorsqu’il n’y a plus de reproduction, il y a disparition.
Yeph :
— J'aime le fait que tu prêtes beaucoup de conscience à nos amis les dinosaures…
Laurie :
— Quelle horreur !
Mais quelle horreur…
Alors tu serais capable de refuser de donner naissance, dans le dessein de provoquer la fin de la vie humaine ?
Tomas :
— Hum… peut-être que oui ?
Pas tout à fait consciemment… en fait.
J’estime adéquat — pour le moment — que cela suffit !
Yeph :
— Il pourrait aussi y avoir la mise en place sensible de processus de modifications, d'adaptations, qui annonceraient de multiples mutations.
Beaucoup d'entre nous sont plus différents que tu ne peux un instant l'imaginer…
Dans la nature, une espèce sait donner naissance à d'autres espèces…
Cela fait des millénaires que l'humain est en perpétuelle évolution.
Les sociétés sont attentives à freiner et à briser les changements trop radicaux ; cependant, si les variations du corps sont délicates à dissimuler, celles de l'esprit et du cœur peuvent encore être protégées des démonolâtres[i] ou autres garants de la sainte doctrine du jour.
Face à la violence des pouvoirs, certains, souffrant trop, préfèrent disparaître avec leurs secrets, comme d'autres refusent toute participation intime et personnelle au système.
Laurie :
— Quel absurdité !
Nous sommes depuis si longtemps au sommet de la pyramide ! La seule espèce qui pourrait tenter de nous dépasser reste mécanique, ou devrait en user… mais l’homme est seul, le maître des machines…
Alors, quel sens donner à cette démarche suicidaire ?
Yeph :
— Ce n'est pas un acte destructeur, il faut y voir plutôt le constat d’une impasse de l’humain dans la volonté de se trouver un jour au meilleur de lui-même.
Se perdre dans le cosmos… cela n’a rien du suicide… Il s’agit de renoncer à ce que nous appelions autrefois les tentations du monde : l’avoir, le savoir, et le pouvoir.
Pour certains faibles, cela s’apparenterait à de la sagesse.
Pour éviter l’auto-destruction, nous devons tenter de saisir en nous l’espace d’une “mutation” ou d’une “adaptation” qui rendrait honnête la poursuite de la race !
Qu’avons-nous à perdre ?
Tomas :
— C’est vrai.
Mais qu’avons-nous à gagner ?
Pourquoi prolonger encore et encore la chaîne généalogique au point où nous sommes rendus ?
Il y a eu trop souvent stagnation et régression.
L’humain n’est pas actuellement dans une spirale d’évolution positive.
Yeph a bien raison aujourd’hui de préférer laisser la place à quelques amibes, futures créatures évoluées de demain.
Laurie :
— Quel orgueil, quelle démesure dans cet hymne à la fatalité !
Comment peux-tu, Yeph, te sentir aussi supérieur, au point de jouer le rôle des dieux destructeurs ?
Tu es à la fois Moros et Thanatos !
Tomas :
— Yeph ? Moratos ?
Ah ah !
En vieux latin, avec un mélange des propositions de Laurie, cela ferait de toi le dieu des mœurs !
Excellent ?
Non, chère Laurie !
Les dieux deviennent vivants et immortels pour les hommes, une fois leur mort annoncée et la légende établie.
Patiente encore un peu avant de créer un mythe sur son histoire : Yeph est toujours en vie !
Yeph :
— Je m’inquiète parfois, Tomas, de te voir attendre et même désirer ce jour où je ne serai plus !
Par simple curiosité ?
Cependant, face à l’idée de notre propre mort, est-ce de l’orgueil, Laurie, que de se sentir en paix ? La véritable peur de l’homme n’est peut-être pas dans la connaissance de sa mortalité… mais de sa finitude !
Le sens de la vie rime si souvent avec le mot « ennuie »… Aussi a-t-il besoin de donner la vie à tout prix afin de se poursuivre, et de la prendre à d’autres.
Ai-je le droit à la différence ?
Puis-je accueillir simplement ma mortalité comme une réalité future, de rejoindre l’harmonie de l’univers, et vivre alors pleinement mon existence terrestre sans penser… sans m’inquiéter d’un demain ?
Laurie :
— Quel égoïsme terrifiant !
Tu es mon seul espoir d’un monde meilleur !
C’est horrible…
Pourquoi donc te poser en obstacle ?
Tu oses me dire non !
Tomas :
— Là, peut-être, est l’orgueil ?
Depuis si longtemps, l’homme estime être l’élément clef pour un autre jour ; pour le Grand Jour… où enfin naîtra son paradis.
Yeph :
— Pour ma part, la raison d’être semble dans cette quête de l’instant, le plaisir du moment sublime qui m’est donné dans une rencontre, une étreinte…
Mais je ne pense pas que la jouissance nous ouvre au bonheur…
Tu me propose de faire l’amour, Laurie, sans le vivre…
Vivre l’amour est un plaisir davantage harmonieux.
La reproduction nous relie à notre part animale, où le plaisir n’est pas nécessaire à la rencontre des corps.
Tomas :
— Dois-je vous laisser ?
Ou…
Laurie :
— Je commence à comprendre ton petit jeu malsain, Yeph.
Tu caches, par ce mépris de la naissance, ton impuissance, ta stérilité évidente.
Tu n’es finalement rien d’autre qu’un pauvre mâle qui attend que je le butine…
Ce n’est guère élégant de ta part et j’éprouve en fait un réel dégoût pour toi.
Tu es donc comme Tomas, Franch et les autres : minable et misérable.
Comment ai-je pu te désirer ?
Pourquoi ai-je été ainsi trompée ?
Tomas :
— Merveilleux retournement de situation, ma chère Laurie.
De dieu potentiel, le voici devenu gueux, bien loin des anges les plus mesquins, les plus jaloux de la fécondité de la femme.
J’adore !
Soit, tu as raison.
Pour ta logique de reine dans une ruche à miel, le bourdon qui se refuse à l’accouplement est raisonnablement impropre à donner naissance. Pourtant, ce jeu des solutions simplistes oublie la source même de notre désir.
Tu présentes les hommes comme de simples organes reproducteurs, élevés par des reines soucieuses de les préparer sainement au travail glorieux.
La femme peut-elle imaginer être elle-même au-delà de son rang sacré : une super-matrice, née pour œuvrer dans la ruche à la place qui lui est due ?
Peux-tu tout simplement devenir une créatrice, en te libérant de cette obsession procréatrice ?
Yeph :
— Hélas.
Le mâle — par son état réducteur de réserve potentielle de gamètes — est votre réalité inconsciente, dans l'inquiétude d'un grand manque[ii].
Peut-être sommes-nous capables, maintenant ou demain, de donner naissance à d’autres énergies créatrices ?
Voilà ce qui me construit depuis si longtemps !
Laurie :
— Écoutez, par votre démarche intellectuelle, vous niez l’homme et la femme qui se sont sacrifiés pour que vous soyez vivants aujourd’hui.
C’est lâche.
N’y a-t-il donc aucun respect pour les anciens ?
Quoi que tu en penses, Yeph, tu détruis tout ce qui semble donner à l’être humain sa beauté, son sens de la famille et du devoir.
Nous avons pour mission première, de témoigner notre gratitude pour celles et ceux qui nous ont précédés, afin de réaliser l’avenir !
Tu es vraiment un égoïste, sans cœur.
Tomas :
— J’aime ta capacité à déplacer le sujet de notre démonstration.
Si tu ne peux pas nous condamner directement, il te faut rechercher des liens plus délicats, comme la mémoire de la famille.
Yeph :
— Permets-moi Laurie — tout d’abord — de réveiller ma faiblesse de mâle : revenir alors sur une de tes attaques concernant mon auguste organe : à mon grand plaisir personnel, la jolie bête se porte bien.
Pour le plaisir relationnel aussi…
L'aurais-tu déjà oublié ?
J'aime en effet — c’est une joie que je ne souhaite pas perdre — donner à mon corps sexué du plaisir, et en recevoir, quand j’en ai la chance, avec les êtres qui me sont chers… n’en déplaise à l’éthique du Centre.
Tomas :
— Ah, ah !
Yeph :
— Oui.
Quant à savoir si ma semence est toujours fertile ou non, j’ai encore jusqu’au dernier jour de mon existence pour songer à poursuivre ou non ma descendance.
De plus, si j’étais devenu stérile, j’aurais certainement été kryfluxiré lors de la Chalystime, ou mieux : désigné d’office à une greffe troisième, pour œuvrer aux basses tâches de la ruche.
Laurie :
— Tu détestes donc bien la femme que je suis…
Yeph :
— Je n’ai aucun mépris pour les reines.
Tu sais très bien aussi que je t’ai toujours aimée.
Cependant, ma quête actuelle est de rechercher les rares êtres libérés de cette obligation de fertilisation.
Sais-tu ?
L’amour est enfant de bohême[iii]…
J’espère aussi découvrir les dernières femmes créatrices, à la suite d'Emma, préférant le jaillissement d’un livre à la nécessité de se reconnaître en simple matrice[iv]…
Laurie :
— Il n’y a donc rien de sacré en toi ?
La société doit se reconstruire et tu la rejettes !
Tu as aussi le droit d’aimer un enfant !
Tu ressembles donc bien à Phil et Érik.
Tu me rejettes dans ce qui saurait me construire.
Tu es finalement dans une minable stérilité mentale !
Yeph :
— Oui et non, Laurie…
Pas tout à fait !
Érik, Phil comme la majorité des membres du Haut Conseil, sont fort honnêtes avec leurs idées : ils veulent uniquement imposer le bonheur aux membres de la Cité. C’est, dans leur esprit, la solution finale de tous nos soucis.
Il n’y a donc pas beaucoup de possibilités quant à les convaincre d’agir autrement.
De plus, n’ayant pas de conception d’un “après” meilleur, mes arguments seraient bien faibles face à leurs certitudes !
Je n'ai ni la croyance ni l'intuition d'un paradis futur ou d'une réincarnation supérieure.
Moi, je souhaite laisser l’humain libre de se chercher, de s'apprendre, de se comprendre parfois et de se découvrir peut-être un jour… de son vivant.
C’est fort peu ambitieux face à leur projet universel qui se conçoit d'éternité !
Tomas :
— Oui, tu ne proposes finalement rien… En t’écoutant, il n’y a pas d’intérêt réel à t'accompagner sur ta route de vie !
Tu te comportes en très très mauvais gourou, Yeph !
Ah, ah !
Yeph :
— Ah oui, cher Tomas !
Si je trouvais à vous enseigner un rêve de paradis, une mission sur Sirius, le nirvana… ou même la menace d’un enfer, vous seriez en effet nombreux à me suivre, mais je perdrais ma liberté[v].
Laurie :
— …Et finalement, en nous refusant le droit d'être sous ta protection, tu seras donc seul !
Yeph :
— Je suis né seul, je vis seul et je mourrai seul.
C’est notre lot à tous, chère Laurie. J'en ai juste pris conscience.
Malgré la présence à mes côtés d’êtres aimants, je crains que personne ne puisse comprendre qui je suis.
L’autre est un mystère que je ne sais pas non plus atteindre.
Je cherche alors, dans ce monde étrange, à harmoniser mon corps, mon cœur et mon âme. Ma quête est d'apprendre, sans nécessairement comprendre.
Enfin… pour expliquer encore mon refus, j'ajoute à tous ces dires, même si ma capacité physique à reproduire n’est pas vraisemblablement remise en doute à ce jour — ce qui fait de moi un être hors des normalités — c’est aussi mon “non-désir” aujourd’hui, de donner naissance.
Tomas :
— Les temps actuels ne s’y prêtent pas.
Tu devrais pourtant le comprendre, Laurie.
Avec Yeph, nous aspirons simplement à rencontrer des êtres capables de croire au bonheur de l'instant, nécessité première pour être heureux.[vi]
Nous croyons qu’il existe en nous l’âme de bâtisseurs d’un monde plus évolué où la notion de respect du beau et de l’amour prendrait force sur l’idée de ruche sociale.
Nous avons foi aussi en l’idée de famille, sans exclusivité parentale ou conjugale, au plaisir d'aimer sans être emprisonnés par l'encouplement[vii].
Laurie :
— Vous exprimez habilement cela, et cependant, par votre attitude, vous niez réellement le géniteur et la mère qui vous ont donné naissance !
Ce sont vos idées qui ont conduit les femmes vers les interdictions d’Érik et de Phil.
Nous ne sommes plus libres d’enfanter par nous-mêmes à cause de vous.
Je refuse de me soumettre à la Machine !
Tomas :
— Oh, tu as certainement raison pour la Machine, cependant pour nos idées, elles prônent plutôt la liberté de la femme et de l'homme dans leur choix.
Ne nous accuse pas de tous tes maux. Ceux qui regardent sans réagir sont parfois aussi coupables que les autres…
Nous tentons de trouver d’autres solutions, sans certitudes aucunes, surtout pas celle d’avoir l’unanimité avec nous.
Aussi, le fait de mettre les géniteurs à une place plus saine et plus raisonnable : être procréateur, c’est se comporter comme une branche intermédiaire d’un gigantesque arbre généalogique.
Laurie :
— Ai-je seulement demandé le mariage, cette institution devenue obligatoire, sans droit à l’amour ?
Non, moi aussi je suis pour la liberté !
Alors, qu’est-ce qui vous empêcherait vous, les hommes, de donner ici et là, au gré de l’amour et du bonheur de la rencontre et du partage, la satisfaction à la mère qui désire enfanter de celui qu’elle aime ?
Pourquoi refuser une paternité ?
En rejetant le cycle de la vie, vous niez vos ancêtres !
Sans eux, reconnaissez donc que vous n’êtes rien !
Tomas :
— Soit, au sens aristotélicien.
Pourtant, les gamètes qui furent utilisés pour nous façonner sont aussi à comprendre comme la dernière étape physique de notre création. Ils se trouvent être les ultimes modifications des gènes précédents, construits par des milliards de connections incalculables au-delà d’une soixantaine de générations.
Yeph :
— Je puis donc alors imaginer exister assez semblablement — vraisemblablement — par une autre branche d’un grand-père ou d’une arrière-grand-mère… Et je suis aussi convaincu de descendre peut-être plus de certains fruits que de toutes ces branches pourtant évidentes !
Laurie :
— Alors vous oseriez scier la branche qui vous porte ?
Tomas :
— L’image est riante.
Tu me tentes !
Yeph :
— Ma mère et mon père ne m'ont donné qu'une moitié des gènes de leurs ancêtres et leurs frères et sœurs possèdent des entités de mémoires génétiques qui sauraient se transmettre notamment par la parole, mais aussi par le ressenti et l'amour.
Tomas :
— Nous te parlons donc de géniteurs, pas d’un amour maternel ou paternel, inconnu dans une ruche comme la nôtre !
Yeph :
— Sache que par mes propos, je ne rejette pas la notion de père ou de mère, mais je relativise la dimension du sacré attribuée à la filiation.
J’ai davantage d’admiration pour l’amour donné, l’amour reçu et l’éducation transmise !
Tu sais aussi que je ne me partage pas…
Avec cette approche de la vie, lorsque l’on ne peut pas toujours réussir à s’identifier à la génération précédente — s’il y a eu massacre ou absence, faiblesse ou incapacité, défaillance ou simple déficience — le regard des liens plus lointains permet parfois de mieux se comprendre et de se trouver.
Tomas :
— Nous ne sommes pas seulement les enfants d’une matrice fécondée.
Laurie :
— Mais regardez-vous tous les deux : vous êtes si différents et vous jouez à partager les mêmes idées.
Mon pauvre Tomas, tu n’es bien que le pantin de Yeph !
Tomas :
— Si à tes yeux notre gémellité a perdu de son sens depuis la Chalystime, sache que je garde au plus profond de mon être la place que Yeph a eu dans le corps de la femme qui nous a portés.
Nous sommes issus d’un même ovule, fécondé et dédoublé naturellement. Cependant l'un des embryons fut développé à une époque plus récente… pour moi.
Même si — en raison des lois nouvelles sur la famille — le Centre refuse nos origines, ma mémoire génétique semble être intacte bien au-delà de notre naissance.
Laurie :
— C’est absurde !
Tomas :
— Pas forcément.
Autrefois, un petit peuple se différenciait des autres par la transmission d’un savoir et de rituels, ancrés jusque dans leur propre chair meurtrie.
Il était souvent détesté et menacé d'extermination car cette racine filiative lui donnait une énergie de conquête et une force de survie supérieure[viii].
Yeph :
— À l’aide d’une mémoire imposée par des maîtres, ils reliaient habilement leur histoire à cette idée d'un « premier homme » et s’étaient désignés « Peuple Élu », rejetant les autres dans une obscure bâtardise : des êtres nés sans origines, ou bien des descendants de criminels rejetant la loi d’un dieu refusant le primat de la force.
Tomas :
— Yeph et moi, nous savons d’où nous venons. C’est notre force d’amour.
Personne ne pourra donc nous séparer.
Laurie :
— Eh bien, qu’attend ton Yeph, pour continuer la lignée de votre race supérieure ?
Yeph :
— Qu’une ère meilleure se présente !
Tomas :
— Nous ne sommes pas supérieurs : nous sommes différents !
La Terre est ronde, nous prenons de la hauteur… en étant à côté du monde…
Nous sommes des individus hors normalités. C’est une raison singulière de notre incapacité à nous adapter aux règles de la ruche.
Laurie :
— Parle pour toi…
Cette pauvre excuse ne fait que dissimuler une lâcheté odieuse…
Je n’ai même plus envie de faire l’amour avec toi, Yeph.
Reste avec ton drôle de jumeau, puisqu’il semble bien compter plus que moi !
Il ne m'intéresse pas…
Tomas a l’air tout aussi obstiné que toi quant au refus du don de l’enfantement !
Yeph :
— Je te désire encore, Laurie !
Laurie :
— Ah oui ?
Moi non !
Et je ne suis pas loin de te détester.
Tu me paieras tes refus !
Yeph :
— On commence par adorer, on abhorre ensuite, pour parfois apprendre enfin à aimer…
Eh bien, Laurie…
Suis-je libre ?
Si tu éprouves à nouveau un quelconque désir pour moi, tu sais comment me joindre.
Cependant, je ne sais ce que demain sera quant à mes sentiments ou mes pulsions…
Je crains que nous ne nous perdions, hélas !
[i] Merci à mon ancêtre Nicolas RÉMY, grand démonolâtre, qui a été anobli pour son expertise de qualité dans la chasse aux sorcières. Il revendique personnellement à son actif, quelque 900 bûchers salvateurs.
[ii] Merci à Christian GODARD et à Julio RIBERA, habiles dessinateur et scénariste de cette bande dessinée érotique où les hommes viennent à manquer dans un monde gouverné par une papesse.
[iii] Merci à l’opéra CARMEN pour nous avoir révélé l’incroyable caractère de sa chère héroïne gitane, délicieusement provocatrice.
Elle nous clame l’amour, comme enfant de Bohème, dans la célèbre habanera récupérée du « petit arrangement » composé par Sébastian IRADIER et transformé avec talent par Georges BIZET.
[iv] Merci encore à Marguerite Yourcenar, femme audacieuse qui aimait les livres et les femmes qui aiment les livres.
[v] Merci à Georg Wilhelm HEGEL. Il assure, avec sa dialectique du maître et de l'esclave… reprise à l’œuvre de « La République » de PLATON alors que les copistes l’ont souvent transformée en système politique.
[vi] Merci à Léon Tolstoï, qui était convaincu que pour être heureux, il fallait croire au bonheur… mais avec sa chère épouse, y croyait-il ?
[vii] Merci encore à Vincent CESPEDES pour ce mot utile afin de mieux « senser » nos propos.
[viii] Merci aux 12 tribus d’Israël… et surtout aux deux survivantes pour cette mémoire du passé qui leur donne une grande volonté de réussite !
[Yeph se téléporte.]
Tomas :
— À bientôt peut-être, Laurie !
— À bientôt peut-être, Laurie !
[Tomas se téléporte à son tour.
Laurie se retrouve seule.]
Laurie :
— Je me vengerai !
— Je me vengerai !
[Retour de Phil.]
Phil :
— Ah Laurie, tu es toujours présente.
Je reviens à l’instant du Conseil.
Tu sais que Yeph risque d’être banni de la Cité.
Il devient dangereux pour le respect de nos lois.
Sako a décidé finalement de soutenir les décisions de l'Austrel…
Yeph est désormais bien seul !
Laurie :
— Ne me parle plus de lui s’il-te-plaît.
Phil :
— Vous vous êtes fâchés ?
Laurie :
— Il n’y a aucun avenir à le suivre…
Phil :
— Tu ne jurais que par lui cependant.
Pourquoi un tel retournement de situation ?
— Ah Laurie, tu es toujours présente.
Je reviens à l’instant du Conseil.
Tu sais que Yeph risque d’être banni de la Cité.
Il devient dangereux pour le respect de nos lois.
Sako a décidé finalement de soutenir les décisions de l'Austrel…
Yeph est désormais bien seul !
Laurie :
— Ne me parle plus de lui s’il-te-plaît.
Phil :
— Vous vous êtes fâchés ?
Laurie :
— Il n’y a aucun avenir à le suivre…
Phil :
— Tu ne jurais que par lui cependant.
Pourquoi un tel retournement de situation ?
[Laurie se jette dans ses bras.]
Laurie :
— Oh Phil…
Phil…
Je suis si malheureuse…
Phil :
— Ne pleure pas, Laurie.
Ce monstre n’en vaut pas la peine.
Tu es bien trop belle pour laisser couler quelque larme sur ton visage.
Laurie :
— Tu sais trouver les mots délicats pour consoler une femme.
Je dois te le dire : je regrette, ma position négative vis-à-vis de l’Austrel, ce matin.
Yeph devait certainement me manipuler.
Je te prie de m’excuser.
Phil :
— Ne dis plus rien.
Tu es pardonnée.
Je suis aussi responsable de ta souffrance.
Moi-même, je suis contraint bien souvent d’énoncer des règles générales promulguées pour l’ensemble des membres de la Cité.
C’est mon devoir — ma mission — de veiller à ce que le peuple qui nous est confié, suive une route à la hauteur de ses capacités.
Tu t’es trouvée tout à l’heure dans une discussion où j’étais contraint d’user de propos destinés à Yeph, afin qu’il ne fasse pas mauvais usage de nos lois auprès de celles et ceux qui l’écoutent encore.
Laurie :
— C’est-à-dire ?
Phil :
— Comprends cela, ma chère Laurie : pour l’élite dont tu fais partie, les droits, les obligations et les interdits ne sauraient être les mêmes.
Attention… c'est secret.
Laurie :
— Ah.
Je suis enfin rassurée.
Mes origines me donnent des privilèges, c’est légitime.
Le règlement ne saurait être identique en fonction du rang des membres de la Cité.
Phil :
— Absolument !
Il faut savoir cependant se protéger d’idéalistes comme Yeph, qui souhaitent encore la liberté pour tous et le droit de savoir.
À désirer l’égalité, trop de civilisations avant la nôtre se sont écroulées.
Il n’y a ni liberté légitime, ni égalité de fait, dans cet univers hiérarchisé où nous devons juste faire semblant de fraterniser avec les êtres inférieurs, pour les garder calmes[i].
Bien que nous soyons dans l’idée de supprimer le danger de la mémoire familiale, et ainsi les privilèges par la naissance, nos responsabilités nous démarqueront toujours les uns des autres.
Grâce aux greffes, il y aura une gestion naturelle de nos différences. Chacun sera donc guidé par des lois adaptées à son état.
Toi, par exemple, non seulement tu fais partie de l’élite mais tu es aussi féconde. Tu entres donc naturellement dans le niveau supérieur.
Laurie :
— Soit, c’est mérité.
Cependant, pourquoi Érik rejette-t-il, pour nous aussi, le droit à la sexualité ?
Il est l’Archyeur ; je suis d’accord avec ses responsabilités.
Pourtant j’ai beaucoup de difficultés à le comprendre dans ce refus de jouir.
Phil :
— L’as-tu regardé ?
T’es tu regardé ?
Tu es belle, Laurie.
Comme moi, tu as la chance d’avoir un corps non seulement sain comme nous tous ici, mais de plus, plaisant à regarder, à toucher… à aimer !
Érik est fort laid, déformé… obèse.
Il ne s’aime pas et personne ne saurait l’aimer pour son enveloppe corporelle.
Il le sait.
Nous le savons tous.
Il le sait aussi.
Il refuse donc d’y penser pour ne pas trop souffrir de son état.
Son attitude vis-à-vis du sexe est plutôt inconsciente… en lien certainement avec ses frustrations cachées !
Laurie :
— Je comprends mieux.
Oui, Érik, même s'il a une belle âme, n’est vraiment pas désirable pour autant.
En fait, je craignais que tu ne suives ses idées, liées finalement à une simple incapacité à assouvir quelques besoins naturels.
Il est certainement impuissant.
Tu dois donc agir — tu en as le pouvoir — afin d'éviter que le mal-être de notre cher Archyeur ne nuise à la pratique de certains plaisirs des membres supérieurs de la Cité.
Phil :
— En effet, et avec diplomatie : sa place est légitimée par le Haut Conseil.
Sache tout de même que sa haine pour la sexualité nous est très utile afin de préparer les lois des générations à venir.
Comme les neuf dixièmes des naissances en centrales matricielles sont stériles, il est plus sain de supprimer en elles tout désir sexuel.
La libido est souvent à la source de dépressions et de conflits.
Grâce à Érik, le sexe sera finalement réservé à celles et ceux — comme nous — capables de le vivre paisiblement.
Laurie :
— Oui, bien entendu !
À condition qu’il ne finisse pas par l’interdire.
Pour les autres — les inférieurs, le peuple d’en bas — il est primordial de maintenir notre idéologie basée sur le besoin de consommer.
La population productrice doit rester consciente qu’il est important de travailler plus pour gagner plus[ii], même si nous veillerons toujours à limiter les pécules des ouvriers.
Il serait trop dangereux pour notre pouvoir qu'ils puissent jouir de notre luxe.
Les pauvres ne sauraient pas quoi faire de leur argent !
Sako régente très bien la mission qui lui a été confiée pour exhorter le peuple à la tâche. Les présidents des consortiums sont satisfaits.
Ces petites gens se perdraient dans ces jeux inévitables de possessions et de trahisons.
Elles n’ont pas le droit à l’identité que confère l’argent.
La masse populaire a besoin de se sentir aimée et reconnue dans son travail. Elle gère ainsi paisiblement ses loisirs mérités, hors de l’envie charnelle finalement destructrice.
Pour nous, c’est autre chose : le travail n’étant pas le fondement illusoire d’une survie, le plaisir se vit aussi par la jouissance.
Ah !
Serons-nous les derniers à être sensibles à l’amour ?
Phil :
— Les greffes sont — semble-t-il — très efficaces dans la gestion des pulsions du corps.
Pour tous les jeunes des classes supérieures, Érik a préféré les laisser dans l’ignorance de leur capacité à la reproduction.
Ils n’ont pas conscience de leur corps sexué et vivent donc dans une paix angélique.
Ils sont ainsi optimisés pour l’instruction.
Nous serons attentifs, plus tard, à toute modification des règles de vie, si le Conseil le juge sain.
L’avenir de la Cité nous contraint à rester très vigilants.
Laurie :
— Soit !
Pourtant, je reste inquiète : notre génération est peu nombreuse.
Sois fort vis-à-vis d’Érik pour ne pas le laisser, avec Sako et les autres extrémistes frustrés du Haut Conseil, réduire à “peau de chagrin” le groupe des jouisseurs !
Phil :
— Ne parle pas ainsi de nous, cela pourrait te nuire.
Tu sais que dans ces espaces reliés, les membres supérieurs de la Cité peuvent apparaître à tout moment et entendre tes propos.
Laurie :
— C’est vrai, mais tu as restauré en moi cette espérance…
Phil…
Phil :
— …Oui Laurie ?
Laurie :
— Viens…
Viens avec moi dans ma cellule, découvrir ce que notre cher Archyeur ne comprendra jamais !
Phil :
— Chut !
Je te suis…
[i] Merci à ARISTOTE qui était peut-être d'accord avec HEGEL… Que savons-nous de la véracité des textes rapportés par des copistes et traducteurs au service d’un pouvoir ou d’une religion ?
[ii] Merci à Nicolas SARKOZY de NAGGY-BOSCA, sans commentaires supplémentaires.
— Oh Phil…
Phil…
Je suis si malheureuse…
Phil :
— Ne pleure pas, Laurie.
Ce monstre n’en vaut pas la peine.
Tu es bien trop belle pour laisser couler quelque larme sur ton visage.
Laurie :
— Tu sais trouver les mots délicats pour consoler une femme.
Je dois te le dire : je regrette, ma position négative vis-à-vis de l’Austrel, ce matin.
Yeph devait certainement me manipuler.
Je te prie de m’excuser.
Phil :
— Ne dis plus rien.
Tu es pardonnée.
Je suis aussi responsable de ta souffrance.
Moi-même, je suis contraint bien souvent d’énoncer des règles générales promulguées pour l’ensemble des membres de la Cité.
C’est mon devoir — ma mission — de veiller à ce que le peuple qui nous est confié, suive une route à la hauteur de ses capacités.
Tu t’es trouvée tout à l’heure dans une discussion où j’étais contraint d’user de propos destinés à Yeph, afin qu’il ne fasse pas mauvais usage de nos lois auprès de celles et ceux qui l’écoutent encore.
Laurie :
— C’est-à-dire ?
Phil :
— Comprends cela, ma chère Laurie : pour l’élite dont tu fais partie, les droits, les obligations et les interdits ne sauraient être les mêmes.
Attention… c'est secret.
Laurie :
— Ah.
Je suis enfin rassurée.
Mes origines me donnent des privilèges, c’est légitime.
Le règlement ne saurait être identique en fonction du rang des membres de la Cité.
Phil :
— Absolument !
Il faut savoir cependant se protéger d’idéalistes comme Yeph, qui souhaitent encore la liberté pour tous et le droit de savoir.
À désirer l’égalité, trop de civilisations avant la nôtre se sont écroulées.
Il n’y a ni liberté légitime, ni égalité de fait, dans cet univers hiérarchisé où nous devons juste faire semblant de fraterniser avec les êtres inférieurs, pour les garder calmes[i].
Bien que nous soyons dans l’idée de supprimer le danger de la mémoire familiale, et ainsi les privilèges par la naissance, nos responsabilités nous démarqueront toujours les uns des autres.
Grâce aux greffes, il y aura une gestion naturelle de nos différences. Chacun sera donc guidé par des lois adaptées à son état.
Toi, par exemple, non seulement tu fais partie de l’élite mais tu es aussi féconde. Tu entres donc naturellement dans le niveau supérieur.
Laurie :
— Soit, c’est mérité.
Cependant, pourquoi Érik rejette-t-il, pour nous aussi, le droit à la sexualité ?
Il est l’Archyeur ; je suis d’accord avec ses responsabilités.
Pourtant j’ai beaucoup de difficultés à le comprendre dans ce refus de jouir.
Phil :
— L’as-tu regardé ?
T’es tu regardé ?
Tu es belle, Laurie.
Comme moi, tu as la chance d’avoir un corps non seulement sain comme nous tous ici, mais de plus, plaisant à regarder, à toucher… à aimer !
Érik est fort laid, déformé… obèse.
Il ne s’aime pas et personne ne saurait l’aimer pour son enveloppe corporelle.
Il le sait.
Nous le savons tous.
Il le sait aussi.
Il refuse donc d’y penser pour ne pas trop souffrir de son état.
Son attitude vis-à-vis du sexe est plutôt inconsciente… en lien certainement avec ses frustrations cachées !
Laurie :
— Je comprends mieux.
Oui, Érik, même s'il a une belle âme, n’est vraiment pas désirable pour autant.
En fait, je craignais que tu ne suives ses idées, liées finalement à une simple incapacité à assouvir quelques besoins naturels.
Il est certainement impuissant.
Tu dois donc agir — tu en as le pouvoir — afin d'éviter que le mal-être de notre cher Archyeur ne nuise à la pratique de certains plaisirs des membres supérieurs de la Cité.
Phil :
— En effet, et avec diplomatie : sa place est légitimée par le Haut Conseil.
Sache tout de même que sa haine pour la sexualité nous est très utile afin de préparer les lois des générations à venir.
Comme les neuf dixièmes des naissances en centrales matricielles sont stériles, il est plus sain de supprimer en elles tout désir sexuel.
La libido est souvent à la source de dépressions et de conflits.
Grâce à Érik, le sexe sera finalement réservé à celles et ceux — comme nous — capables de le vivre paisiblement.
Laurie :
— Oui, bien entendu !
À condition qu’il ne finisse pas par l’interdire.
Pour les autres — les inférieurs, le peuple d’en bas — il est primordial de maintenir notre idéologie basée sur le besoin de consommer.
La population productrice doit rester consciente qu’il est important de travailler plus pour gagner plus[ii], même si nous veillerons toujours à limiter les pécules des ouvriers.
Il serait trop dangereux pour notre pouvoir qu'ils puissent jouir de notre luxe.
Les pauvres ne sauraient pas quoi faire de leur argent !
Sako régente très bien la mission qui lui a été confiée pour exhorter le peuple à la tâche. Les présidents des consortiums sont satisfaits.
Ces petites gens se perdraient dans ces jeux inévitables de possessions et de trahisons.
Elles n’ont pas le droit à l’identité que confère l’argent.
La masse populaire a besoin de se sentir aimée et reconnue dans son travail. Elle gère ainsi paisiblement ses loisirs mérités, hors de l’envie charnelle finalement destructrice.
Pour nous, c’est autre chose : le travail n’étant pas le fondement illusoire d’une survie, le plaisir se vit aussi par la jouissance.
Ah !
Serons-nous les derniers à être sensibles à l’amour ?
Phil :
— Les greffes sont — semble-t-il — très efficaces dans la gestion des pulsions du corps.
Pour tous les jeunes des classes supérieures, Érik a préféré les laisser dans l’ignorance de leur capacité à la reproduction.
Ils n’ont pas conscience de leur corps sexué et vivent donc dans une paix angélique.
Ils sont ainsi optimisés pour l’instruction.
Nous serons attentifs, plus tard, à toute modification des règles de vie, si le Conseil le juge sain.
L’avenir de la Cité nous contraint à rester très vigilants.
Laurie :
— Soit !
Pourtant, je reste inquiète : notre génération est peu nombreuse.
Sois fort vis-à-vis d’Érik pour ne pas le laisser, avec Sako et les autres extrémistes frustrés du Haut Conseil, réduire à “peau de chagrin” le groupe des jouisseurs !
Phil :
— Ne parle pas ainsi de nous, cela pourrait te nuire.
Tu sais que dans ces espaces reliés, les membres supérieurs de la Cité peuvent apparaître à tout moment et entendre tes propos.
Laurie :
— C’est vrai, mais tu as restauré en moi cette espérance…
Phil…
Phil :
— …Oui Laurie ?
Laurie :
— Viens…
Viens avec moi dans ma cellule, découvrir ce que notre cher Archyeur ne comprendra jamais !
Phil :
— Chut !
Je te suis…
[i] Merci à ARISTOTE qui était peut-être d'accord avec HEGEL… Que savons-nous de la véracité des textes rapportés par des copistes et traducteurs au service d’un pouvoir ou d’une religion ?
[ii] Merci à Nicolas SARKOZY de NAGGY-BOSCA, sans commentaires supplémentaires.
[Phil et Laurie se téléportent.]
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© Le cycle de l'Austrel, tome premier : Souvenir d'un amour, des écrits de Yves Philippe de Francqueville, pirate des mots et philanalyste en herbe.
Fin de la première partie.
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Auteur : Yves Philippe de Francqueville